Je ne suis certes pas le premier qu’ait frappé la ressemblance qui existe entre les actes obsédants des névrosés et les exercices par lesquels le croyant témoigne de sa piété. Le nom même de « cérémonial », que l’on a donné à certains de ces actes obsédants, m’en est une garantie. Cependant cette ressemblance me semble être plus qu’une ressemblance superficielle, de telle sorte que l’on pourrait, d’une intelligence de la genèse du cérémonial névrotique, se risquer à tirer par analogie des conclusions relatives aux processus psychiques de la vie religieuse.

Les gens qui pratiquent des actes obsédants ou un cérémonial appartiennent, avec ceux qui souffrent de pensées obsédantes, de représentations obsédantes, d’impulsions obsédantes, etc., à un groupe clinique particulier à l’affection duquel on a coutume de donner le nom de « névrose obsessionnelle » [1]. Mais il ne faudrait pas essayer de faire dériver de son nom le caractère essentiel de cette affection, car, à proprement parler, d’autres phénomènes psychiques morbides peuvent également prétendre à ce que nous appelons « caractère obsédant ». Une connaissance détaillée de ces états doit encore actuellement tenir lieu de définition, vu que nous n’avons pas jusqu’à présent réussi à dégager le critérium, sans doute très profondément situé, de la névrose obsessionnelle, critérium dont on devine cependant la présence dans toutes les manifestations de cette affection.

Le cérémonial névrotique consiste en petits actes : actions surajoutées ou entravées ou bien rangements, lesquels, à l’occasion des actes de la vie quotidienne, sont exécutés toujours de la même manière ou bien d’une façon qui varie suivant des règles données. Ces activités nous font l’impression de simples « formalités » ; elles nous apparaissent comme totalement dénuées de sens. Elles n’apparaissent pas sous un autre jour au malade, et il est pourtant incapable de ne pas les accomplir, car tout écart du cérémonial est puni d’une insupportable angoisse, qui oblige à refaire après coup ce qui avait été omis. Tout aussi mesquines que les actions elles-mêmes du cérémonial sont les occasions et les sortes d’activités que le cérémonial environne, en rendant plus difficile, et en tout cas en retardant l’accomplissement par exemple, l’action de s’habiller et de se déshabiller, de se coucher, de satisfaire les besoins corporels. On peut décrire la façon dont s’exerce un cérémonial en remplaçant en quelque sorte celui-ci par une série de lois non écrites. Par exemple, en ce qui touche le cérémonial du lit : la chaise doit se trouver devant le lit dans une position déterminée, les vêtements doivent y être pliés dans un certain ordre ; la couverture du lit doit être bordée aux pieds. Le drap doit être bien tiré, sans plis ; les oreillers doivent être disposés de telle ou telle manière, le corps lui-même doit se trouver dans une attitude strictement déterminée ; ce n’est qu’alors qu’on a le droit de s’endormir. Dans les cas légers, le cérémonial paraît être l’exagération d’un ordre habituel et justifié. Mais la conscience toute particulière avec laquelle il est exécuté et l’angoisse qui surgit s’il est omis donnent au cérémonial le caractère d’un « acte sacré ». Tout ce qui le trouble est en général mal toléré ; il doit être accompli à l’exclusion du public, de la présence d’autres personnes.

Toutes les formes d’activité peuvent devenir des actes obsédants au sens le plus large, quand ces activités sont surchargées de petites actions surajoutées, sont rythmées d’arrêts et de répétitions. On ne peut s’attendre à trouver de frontière nette entre le « cérémonial » et les « actes obsédants ». Le plus souvent, les actes obsédants sont issus d’un cérémonial. La maladie est constituée, en plus de ces deux phénomènes, par des interdictions et des empêchements (aboulie), qui en réalité ne font que poursuivre l’œuvre des actes obsédants, en tant que certaines choses ne sont pas du tout permises au malade, et que d’autres ne le sont qu’à la condition d’observer un cérémonial prescrit d’avance.

Il est curieux de voir que la compulsion comme les interdictions (devoir faire une chose et ne pas avoir le droit d’en faire une autre) ne frappent au début que les activités solitaires des hommes et laissent intact pendant longtemps leur comportement social ; c’est pourquoi de tels malades peuvent, pendant de longues années, traiter leur mal en affaire privée et le dissimuler. Bien plus de gens d’ailleurs souffrent de semblables formes de la névrose obsessionnelle que ne l’apprennent les médecins. En outre, beaucoup de ces malades trouvent à cette dissimulation une circonstance favorisante dans ce fait qu’ils arrivent fort bien à remplir leurs devoirs sociaux pendant une partie de la journée, après avoir consacré un certain nombre d’heures à leurs mystérieux agissements dans une retraite à la Mélusine.

Il est aisé de voir où se trouve la ressemblance entre le cérémonial névrotique et les actes sacrés du rite religieux dans la peur, engendrée par la conscience, en cas d’omission, dans la complète isolation de toutes les autres activités (défense d’être dérangé) et dans le caractère consciencieux et méticuleux de l’exécution. Mais les différences sont tout aussi frappantes, différences dont quelques-unes sont si éclatantes qu’elles font de cette comparaison quelque chose de sacrilège : la plus grande diversité des actes cérémoniaux par opposition à la stéréotypie du rite (prière, génuflexion, etc.) ; le caractère privé de ceux-ci par opposition au caractère public et collectif des exercices religieux ; et surtout cette différence que les petits actes du cérémonial religieux ont un sens et une intention symbolique, tandis que ceux du cérémonial névrotique semblent niais et dénués de sens. La névrose obsessionnelle semble ici la caricature mi-comique, mi-lamentable d’une religion privée. Cependant, c’est justement cette différence la plus tranchée entre le cérémonial névrotique et le cérémonial religieux qui disparaît lorsque, grâce à la technique d’investigation psychanalytique, on pénètre assez avant pour comprendre les actes obsédants [2]. Cette investigation permet de mettre radicalement fin à l’apparence d’après laquelle les actes obsédants seraient niais et dénués de sens. Elle révèle aussi d’où provient cette apparence. On apprend à voir que les actes obsédants sont, sans exception et dans tous leurs détails, pleins de sens, qu’ils sont au service d’intérêts importants de la personnalité et qu’ils expriment et des événements à influence persistante, et des pensées chargées d’affect de l’individu. Ils réalisent ceci de deux manières, en tant que représentation directe ou bien en tant que représentation symbolique ; il convient donc de les interpréter soit biographiquement, soit symboliquement.

Je ne pourrai me dispenser de citer ici quelques exemples à l’appui de cette assertion. Quiconque s’est familiarisé avec les résultats dus à l’investigation psychanalytique des psychonévroses ne sera pas surpris d’apprendre que ce que représentent les actes obsédants ou le cérémonial dérive de la vie la plus intime, voire de la vie sexuelle du malade.

a) Une jeune fille observée par moi était soumise à la compulsion, après s’être lavée, de faire tourner plusieurs fois la cuvette en rond. La signification de cet acte cérémonial se trouvait dans le proverbe : « Il ne convient pas de jeter de l’eau sale avant d’en avoir de propre » [3].

Cette action avait pour but de donner un avertissement à sa sœur, qu’elle aimait beaucoup, et d’empêcher celle-ci de divorcer d’avec un mari peu satisfaisant avant d’avoir noué des relations avec quelqu’un de mieux.

b) Une femme qui vivait séparée de son mari obéissait pendant les repas à la compulsion de laisser les meilleurs morceaux, par exemple de ne manger que les bords d’une tranche de viande rôtie. Ce renoncement s’expliquait par la date où il avait pris naissance. Il s’était manifesté pour la première fois le jour où elle avait annoncé à son mari qu’elle lui refuserait désormais les rapports conjugaux, c’est-à-dire le jour où elle avait renoncé à ce qu’il y avait de meilleur.

c) La même malade ne pouvait en réalité s’asseoir que sur un seul siège et ne parvenait à s’en relever qu’avec difficulté. Le siège, d’après certains détails de sa vie conjugale, symbolisait pour elle son mari, à qui elle restait fidèle. Elle expliquait par cette phrase sa compulsion : « On se sépare si difficilement (d’un homme, d’un siège) après s’y être assise une première fois. »

d) Pendant tout un laps de temps elle avait eu coutume de répéter un acte obsédant particulièrement frappant et absurde. Elle courait de sa chambre à une autre pièce, au milieu de laquelle se trouvait une table, elle arrangeait d’une certaine façon le tapis qui se trouvait dessus, elle sonnait la fille de chambre, qui devait s’approcher de la table, puis elle congédiait celle-ci avec un ordre indifférent. Au cours des efforts que nous fîmes pour expliquer cette compulsion, il lui vint à l’esprit que le tapis de table en question portait une tache d’une vilaine couleur et qu’elle disposait chaque fois le tapis de telle sorte que la tache dût sauter aux yeux de la fille de chambre. Le tout était ainsi la reproduction d’un événement relatif à son mariage, événement qui avait ensuite donné à son esprit un problème à résoudre. Son mari, au cours de leur nuit de noces, avait été victime d’une mauvaise fortune qui n’est pas rare. Il se trouva impuissant et « courut plusieurs fois cette nuit-là de sa chambre à la sienne » afin de répéter la tentative. Le matin suivant il avait dit qu’il devrait avoir honte devant la fille de chambre de l’hôtel, qui allait faire les lits ; aussi prit-il un flacon d’encre rouge et en versa-t-il le contenu sur le drap, mais d’une façon si maladroite que la tache rouge se produisit à un endroit vraiment peu en rapport avec son dessein. Elle rejouait ainsi par cet acte obsédant la scène de sa nuit de noces. « La table et le lit » font en effet à eux deux le mariage.

e) Cette même malade présentait une compulsion à noter le numéro de chaque billet de banque avant qu’il ne sortît de ses mains : or, cette compulsion comportait aussi une explication biographique. Au temps où elle admettait encore l’idée de quitter son mari, au cas où elle trouverait un autre homme plus digne de confiance, elle s’était laissé faire la cour, dans une ville d’eaux, par un monsieur des intentions sérieuses duquel elle doutait cependant. Un jour où elle avait besoin de petite monnaie, elle le pria de lui changer une pièce de cinq couronnes. Il le fit, empocha la large pièce d’argent et ajouta galamment qu’il ne s’en séparerait jamais, cette pièce ayant passé par ses mains à elle. Au cours de rencontres ultérieures, elle fut maintes fois tentée de lui demander qu’il lui montrât la pièce de cinq couronnes, en quelque sorte pour se convaincre de la foi qu’il convenait d’accorder à ses hommages. Mais elle s’en abstint en vertu de la bonne raison que l’on ne saurait distinguer l’une de l’autre des pièces de monnaie de même valeur. Ainsi le doute ne fut pas dissipé, et il laissa après lui la compulsion à noter les numéros des billets de banque, numéros grâce auxquels chaque billet se distingue individuellement de tous les autres de même valeur.

Ces quelques exemples, empruntés au vaste ensemble de mes observations, ne sont destinés qu’à illustrer la proposition d’après laquelle tout, dans les actes obsédants, est plein de sens et interprétable. Il en est de même du cérémonial proprement dit ; la preuve en exigerait seulement un exposé plus circonstancié. Mais je ne m’y méprends nullement : nous semblons nous être fort éloignés, par l’élucidation des actes obsédants, de la sphère d’idées de la religion.

C’est une des conditions de l’état pathologique que la personne qui obéit à une compulsion le fasse sans en connaître la signification, au moins la signification principale. Seuls les efforts du traitement psychanalytique pourront lui rendre conscient le sens de l’acte obsédant et par là les mobiles qui l’y poussent. Nous exprimons cet état de choses important en disant que l’acte obsédant sert à manifester des mobiles et des représentations inconscientes. Il semble y avoir là une nouvelle différence d’avec les exercices religieux, mais il faut se rappeler qu’aussi bien le dévot isolé exerce en règle générale le cérémonial religieux sans demander quel en est le sens, tandis que le prêtre et l’investigateur peuvent cependant connaître ce sens, le plus souvent symbolique, du rite. Les mobiles qui poussent impérieusement les croyants aux exercices religieux leur restent cependant à tous inconnus, ou bien sont représentés dans leur conscience par d’autres mobiles mis en avant à leur place.

L’analyse des actes obsédants nous a déjà permis de jeter un coup d’œil sur l’étiologie de ceux-ci et sur l’enchaînement des mobiles qui les déterminent. On peut dire que celui qui souffre de compulsion et d’interdictions se comporte comme s’il était sous l’empire d’un sentiment de culpabilité, dont il ne sait rien d’ailleurs, à un sentiment inconscient de culpabilité, ainsi qu’il convient de dire en ne tenant pas compte du heurt des mots ici associés. Ce sentiment de culpabilité prend sa source dans certains processus psychiques précoces, mais trouve un élément de reviviscence perpétuelle dans la tentation que renouvelle chaque occasion actuelle. D’autre part, il donne naissance à une angoisse expectante, à une attente du malheur, toujours aux aguets, angoisse liée par le concept de la punition à la perception interne de la tentation. Quand un cérémonial est en train de se constituer, le malade sait encore consciemment qu’il doit faire ceci ou cela sans quoi un malheur arriverait et, en règle générale, la sorte de malheur à attendre est encore communiquée à sa conscience. Mais le rapport, démontrable dans chaque cas, qui existe entre l’occasion où l’angoisse expectante surgit et l’élément de menace qu’elle contient est déjà caché au malade. Ainsi le cérémonial commence par être un acte de défense ou une assurance contre quelque chose, une mesure de protection.

Au sentiment de culpabilité du névrosé obsessionnel correspondent les protestations des dévots lorsqu’ils affirment savoir qu’ils sont de grands pécheurs dans leur cœur ; il semble que les exercices de piété (prières, invocations, etc.), aient la valeur de mesures de défense et de protection, mesures par lesquelles les dévots font précéder chaque activité de la journée et surtout chaque entreprise sortant de l’ordinaire.

On acquiert une intelligence plus profonde du mécanisme de la névrose obsessionnelle si l’on estime à sa juste valeur le fait primordial se trouvant à sa base et qui consiste toujours dans le refoulement d’une pulsion instinctive (d’une composante de l’instinct sexuel, pulsion qui était contenue dans la constitution de la personne en jeu, qui put se manifester un certain temps dans sa vie infantile et devint ensuite la proie du refoulement. Une scrupulosité particulière, dirigée contre les objectifs de cet instinct, est engendrée en même temps que le refoulement de cet instinct. Seulement cette formation réactionnelle psychique ne se sent pas sûre d’elle-même, mais constamment menacée par l’instinct demeuré aux aguets dans l’inconscient. L’influence de l’instinct refoulé est ressentie sous forme de tentation, et c’est au cours du processus du refoulement lui-même que naît l’angoisse, qui, en tant qu’angoisse expectante, s’empare du domaine de l’avenir. Le processus de refoulement qui conduit à la névrose obsessionnelle est à qualifier de refoulement incomplètement réussi, refoulement qui menace de faiblir de plus en plus. C’est en quoi il est comparable à un conflit qui ne saurait connaître de fin ; des efforts psychiques toujours renouvelés sont nécessaires afin de maintenir l’équilibre contre les poussées constantes de l’instinct. Les actes cérémoniaux et obsédants naissent ainsi, d’une part, à titre de défense contre la tentation, d’autre part, à titre de protection contre un malheur attendu. Mais contre la tentation, les actes de protection, semblent bientôt ne pas suffire ; alors surgissent les interdictions qui doivent nous garder à distance de la situation où nous serions tentés. Ainsi qu’on peut le voir, les interdictions remplacent les actes obsédants, tout comme une phobie a pour but d’épargner la nécessité d’une crise d’hystérie. D’un autre coté, le cérémonial représente la somme des conditions sous lesquelles d’autres choses, pas encore absolument défendues, restent permises ; de même le sens du cérémonial religieux du mariage est de permettre au dévot la jouissance sexuelle, par ailleurs entachée de péché. La névrose obsessionnelle, comme toutes les autres affections analogues, a encore pour caractère que ses manifestations (ses symptômes, parmi lesquels les actes obsédants) remplissent cette condition d’être un compromis entre les forces psychiques en conflit. Ainsi les symptômes ramènent au jour quelque chose du plaisir qu’ils sont destinés à empêcher, ils se mettent au service de l’instinct refoulé non moins que de l’instance refoulante. Et même, avec le progrès de la maladie, les actes, qui à l’origine servaient plutôt à la défense, se rapprochent toujours davantage des actions condamnées par lesquelles, dans l’enfance, l’instinct se manifestait.

On pourrait retrouver quelque chose de ces rapports dans le domaine de la vie religieuse : la répression, le renoncement à certaines pulsions instinctives semble aussi être à la base de la formation de la religion ; cependant ce ne sont pas, comme dans la névrose, des composantes exclusivement sexuelles dont il s’agit ici, mais des instincts égoïstes, nuisibles à la société, auxquels d’ailleurs une contribution sexuelle n’est le plus souvent pas étrangère. Le sentiment de culpabilité émané d’une tentation qui ne s’éteint jamais, l’angoisse expectante sous forme de la peur des châtiments divins, nous avons appris à les reconnaître au domaine de la religion plus tôt qu’à celui de la névrose. Peut-être en vertu des composantes sexuelles qui s’y mêlent, peut-être par suite des qualités générales de l’instinct, la répression des instincts au domaine de la vie religieuse se manifeste-t-elle aussi comme insuffisante et jamais achevée. Des récidives totales de péché sont même plus fréquentes chez le dévot que chez le névrosé, et elles conditionnent une nouvelle espèce d’activités religieuses, les actes de pénitence, auxquels on trouve des pendants dans la névrose obsessionnelle.

Nous l’avons vu : un caractère particulier et dégradant de la névrose obsessionnelle consiste en ce que le cérémonial s’attache à de petits actes de la vie quotidienne et se manifeste sous forme de prescriptions et de restrictions puériles. On ne comprend ce trait frappant de la structure du tableau clinique qu’en apprenant à voir que le mécanisme du déplacement psychique, découvert par moi d’abord dans la formation du rêve [4], domine les processus psychiques de la névrose obsessionnelle. Dans les quelques exemples d’actes obsédants que j’ai cités, on peut déjà voir comment le symbolisme et les détails de l’exécution de l’acte s’édifient grâce à un déplacement de ce qui est propre, important, à une chose mesquine mais substitutive, par exemple d’un homme à un siège. C’est cette tendance au déplacement qui modifie toujours davantage le tableau des phénomènes morbides et qui on vient pour finir à faire de la chose la plus minime la plus importante et la plus pressante. On ne saurait méconnaître qu’au domaine religieux n’existe une tendance semblable au déplacement de la valeur psychique, et à la vérité dans le même sens, de telle sorte que peu à. peu le cérémonial mesquin des exercices religieux devient l’essentiel, après qu’a été mis de côté son contenu idéatif. C’est aussi pourquoi les religions subissent par saccades des réformes qui s’efforcent de rétablir la relation originelle des valeurs.

Le caractère de compromis des actes obsédants en tant que symptômes névrotiques est celui que l’on reconnaît le moins nettement dans les actes religieux qui leur correspondent. Et cependant quelque chose nous rappelle ce trait de la névrose quand nous voyons combien souvent tous les actes que la religion réprouve - les manifestations des instincts réprimés par la religion - sont justement accomplis en son nom et soi-disant à son profit.

En vertu de ces concordances et de ces analogies, on pourrait se risquer à concevoir la névrose obsessionnelle comme constituant un pendant pathologique de la formation des religions, et à qualifier la névrose de religiosité individuelle, la religion de névrose obsessionnelle universelle. La concordance la plus essentielle résiderait dans le renoncement fondamental à l’exercice d’instincts constitutionnellement donnés, la différence la plus décisive dans la nature de ces instincts qui, dans la névrose, sont d’origine exclusivement sexuelle, et dans la religion aussi de nature égoïste.

Un renoncement progressif à des instincts constitutionnels, dont l’exercice pouvait donner au moi un plaisir primaire, semble être l’une des bases de l’évolution culturelle des hommes. Une partie de ce refoulement des instincts est accomplie par les religions, en tant qu’elles incitent l’individu à offrir en sacrifice à la divinité ses plaisirs instinctifs. « A moi est la vengeance », dit le Seigneur [5]. On croit reconnaître dans l’évolution des vieilles religions que bien des « forfaits » auxquels l’homme avait renoncé avaient été « passés » à Dieu et étaient encore permis en son nom, de telle sorte que la cession à la divinité était le moyen par lequel l’homme se libérait de la domination de ses instincts mauvais et nuisibles à la société. Aussi n’est-ce pas un hasard si toutes les particularités humaines - avec les mauvaises actions qui en dérivent - étaient attribuées aux anciens dieux dans une mesure illimitée, et ce n’était pas une contradiction qu’il ne fût pourtant pas permis de justifier ses propres forfaits par l’exemple divin.

[1Cf. Löwenfeld, Die psychischen Zwangserscheinungen (Les phénomènes psychiques obsessionnels), 1904.

[2Cf. S. Freud, Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre (Suite de petites études sur la doctrine des névroses), Vienne, 1906 ; 3e éd., 1920.

[3Man soll schmutziges Wasser nicht ausgiessen, ehe man reines hat.

[4Cf. Freud, L’interprétation des rêves, trad. par I. Meyerson, nouv. éd. revue par Denise Berger, Paris, Presses Universitaires, 1971.

[5Deutéronome, XXXII, 35 (N. de la Trad.)