Leibniz

Il y a un monde d’âmes dans la moindre portion de la matière

 « 64. Ainsi chaque corps organique d’un vivant est une espèce de machine divine, ou d’un automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. Parce qu’une machine faite par l’art de l’homme n’est pas une machine dans chacune de ses parties. Par exemple, la dent d’une roue de laiton a des parties ou fragments qui ne nous sont plus quelque chose d’artificiel et n’ont plus rien qui marque de la machine par rapport à l’usage où la roue était destinée. Mais les machines de la nature, c’est-à- dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini. C’est ce qui fait la différence entre la nature et l’art, c’est-à-dire entre l’art divin et le nôtre.

65. Et l’auteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini, comme les anciens ont reconnu, mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties dont chacune a quelque mouvement propre, autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer tout l’univers.

66. Par où l’on voit qu’il y a un monde de créatures, de vivants, d’animaux, d’entéléchies, d’âmes dans la moindre portion de la matière.

67. Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang."
 

Leibniz, Monadologie, 1714, Delagrave, 1975, p. 178-180.