1er colloque des philosophes : "Parler est-il naturel ?"

TEXTE 4 - Hobbes

« L’invention la plus noble et la plus profitable de toutes, ce fut celle de la parole, consistant en des dénominations ou appellations et dans leur mise en relation, invention grâce à laquelle les hommes enregistrent leurs pensées, les rappellent quand elles sont passées et aussi se les déclarent l’un à l’autre, pour leur utilité naturelle et pour communiquer entre eux, et sans laquelle il n’y aurait pas eu parmi les hommes plus de République, de société, de contrat et de paix que parmi les lions, les ours et les loups (…).
L’usage général de la parole est de transformer notre discours mental en discours verbal, et l’enchaînement de nos pensées en un enchaînement de mots ; et ceci en vue de deux avantages : d’abord d’enregistrer les consécutions de nos pensées ; celles-ci, capables de glisser hors de notre souvenir et de nous imposer ainsi un nouveau travail, peuvent être rappelées par les mots qui ont servi à les noter ; le premier usage des dénominations est donc de servir de marques ou de notes en vue de la réminiscence. L’autre usage consiste, quand beaucoup se servent des mêmes mots, en ce que ces hommes se signifient l’un à l’autre, par la mise en relation et l’ordre de ces mots, ce qu’ils conçoivent ou pensent de chaque question, et aussi ce qu’ils désirent, ou qu’ils craignent, ou qui éveille en eux quelque autre passion. Dans cet usage, les mots sont appelés des signes.
Les usages particuliers de la parole sont les suivants : premièrement, d’enregistrer ce qu’en y pensant on trouve être soit la cause d’une chose présente ou passée, soit ce que les choses présentes ou passées peuvent produire ou réaliser : en somme, c’est l’acquisition des arts. Deuxièmement, d’exprimer à autrui la connaissance que l’on a atteinte : il s’agit là de se conseiller et de s’enseigner les uns les autres. Troisièmement, de faire connaître à autrui ses volontés et ses projets, de façon que nous recevions les uns des autres une aide mutuelle. Quatrièmement, de contenter et de charmer soit autrui soit nous-mêmes en jouant innocemment avec nos mots, pour le plaisir ou l’agrément ».

Hobbes, Léviathan, Première partie (« De l’Homme »), Chapitre IV, De la parole