Traité politique, III, §11
Après avoir expliqué le droit du souverain sur les citoyens et l’office des sujets, il reste à considérer le droit du souverain sur l’étranger, ce qui se connaît aisément par les considérations qui précèdent. Puisqu’en effet, par le § 2 de ce chapitre, le droit du souverain n’est rien d’autre que le droit même de la nature, deux États sont l’un à l’égard de l’autre comme deux hommes à l’état de nature [1], à cela près que la Cité peut se garder elle-même contre l’oppression d’une autre Cité, chose dont l’homme à l’état de nature est incapable, accablé comme il l’est quotidiennement par le sommeil, souvent par une maladie du corps ou de l’âme, et enfin par la vieillesse, exposé en outre à d’autres maux contre lesquels la Cité peut s’assurer.
Traduction Saisset :
Le droit des pouvoirs souverains sur les citoyens et le devoir des sujets ayant été précédemment expliqués, il reste à considérer le droit de ces mêmes pouvoirs sur les étrangers, ce qui se déduira aisément des principes posés plus haut. En effet, puisque (par l’article 2 du présent chapitre) le droit du souverain n’est autre chose que le droit naturel lui-même, il s’ensuit que deux empires sont à l’égard l’un de l’autre comme deux individus dans l’état de nature, avec cette différence qu’un empire peut se préserver de l’oppression étrangère, ce dont l’individu est incapable dans l’état de nature, étant accablé tous les jours par le sommeil, souvent par la maladie ou les inquiétudes morales, par la vieillesse enfin, sans parler de mille autres inconvénients dont un empire peut s’affranchir.
Iure summarum potestatum in cives et subditorum officio explicato, superest ut earum ius in reliqua consideremus, quod iam ex dictis facile cognoscitur. Nam, quandoquidem (per art. 2. huius cap.) ius summae potestatis nihil est praeter ipsum naturae ius, sequitur duo imperia ad invicem sese habere, ut duo homines in statu naturali, excepto hoc, quod civitas sibi cavere potest, ne ab alia opprimatur, quod homo in statu naturali non potest, nimirum qui quotidie somno, saepe morbo aut animi aegritudine, et tandem senectute gravatur, et praeter haec aliis incommodis est obnoxius, a quibus civitas securam se reddere potest.
[1] La même idée se trouve chez Hobbes : « l’état des républiques entre elles est celui de nature, c’est-à-dire un état de guerre et d’hostilité » (De Cive, Chapitre XIII, §7). Hobbes ajoute que cette relation entre les États est une bonne illustration de l’état de nature qu’on ne peut observer entre les individus : « Mais même s’il n’y avait jamais eu aucun temps où les particuliers fussent en état de guerre les uns contre les autres, cependant à tous moments les rois et les personnes qui détiennent l’autorité souveraine sont à cause de leur indépendance dans une continuelle suspicion, et dans la situation et la posture des gladiateurs, leurs armes pointées, les yeux de chacun fixés sur l’autre : je veux ici parler des forts, des garnisons, des canons qu’ils ont aux frontières de leurs royaumes (...). » (Léviathan, chapitre XIII, Sirey, 1987, p.126).