Chapitre XXI

De la Raison.



(1) Nous avons à rechercher maintenant d’où vient que parfois, bien que voyant qu’une chose est bonne ou mauvaise, nous ne trouvons cependant en nous aucun pouvoir de faire le bien ou de renoncer au mal ; et parfois, au contraire [le trouvons] bien.

(2) Nous pouvons concevoir cela aisément si nous sommes attentifs aux causes que nous avons indiquées des opinions, elles-mêmes reconnues par nous causes de nos affections. Ces opinions, disions-nous, naissent ou bien par ouï-dire ou bien par expérience. Comme d’autre part tout ce que nous éprouvons en nous-mêmes a plus de pouvoir sur nous que ce qui pénètre en nous du dehors, il s’ensuit que la Raison peut bien être cause de la destruction des opinions [1]
que nous avons par ouï-dire seulement et cela parce que la Raison n’est pas elle, venue en nous du dehors ; mais non du tout de celles que nous avons par expérience.

(3) Car le pouvoir que nous donne la chose elle-même est toujours plus grand que celui que nous tirons des conséquences d’une autre chose, distinction déjà observée pour nous quand nous parlions du raisonnement et de la connaissance claire [**], ayant donné comme exemple la règle de trois. Car nous acquérons plus de pouvoir par la connaissance de la proportion [***] elle-même que par la connaissance de la règle de la proportionnalité. Et c’est pourquoi aussi nous avons dit si souvent qu’un amour est détruit par un autre qui est plus grand ; par quoi nous ne voulions nullement entendre le désir, lequel naît [B :non de la connaissance claire, comme l’Amour mais] du raisonnement.


[1Cela reviendra ici au même si nous employons le mot de opinions ou celui de passions, il est clair en effet que si nous ne pouvons vaincre par la Raison celles qui sont en nous par l’expérience, c’est qu’elles ne sont autre chose en nous qu’une jouissance ou une union immédiate avec quelque chose que nous tenons pour bon ; et, bien que la Raison nous montre ce qui est bon, elle ne nous en fait pas jouir. Or ce dont nous jouissons en nous-mêmes ne peut être vaincu par quelque chose dont nous ne jouissons pas, qui, au contraire, est hors de nous comme l’est ce que montre la Raison. Pour le vaincre, il est besoin de quelque chose de plus puissant ; et de telle sorte sera la jouissance de, et l’union immédiate avec, quelque chose dont la connaissance et la jouissance valent mieux ; en pareil cas la victoire est toujours nécessaire. Ou encore elle se produit par l’expérience faite d’un mal reconnu plus grand que le bien dont on a joui et venant immédiatement après lui. Que, cependant ce mal* ne suit pas toujours nécessairement, c’est ce que nous enseigne l’expérience, car, etc.. (Voir ci-dessus).
* On serait assez tenté de remplacer ici le mot mal par victoire.

[**Cf. supra chap. I (note jld).

[***Les manuscrits donnent ici règle.