Définition 8
Le mouvement dans l’espace est le transport d’une partie de la matière, c’est-à-dire d’un corps, du voisinage des corps qui le touchent immédiatement et sont considérés comme immobiles, dans le voisinage d’autres corps.
Descartes use de cette définition pour expliquer le mouvement dans l’espace ; pour la bien entendre il faut considérer :
1° Que par partie de la matière il entend tout ce qui peut être transporté à la fois, encore que cela même puisse être à son tour composé de beaucoup de parties ;
2° Que pour éviter la confusion dans cette définition, il parle seulement de ce qui est toujours dans la chose mobile, à savoir le transport, qui ne doit pas être confondu, comme il l’a été par d’autres, avec la force ou l’action qui transporte. On croit communément que cette force ou cette action est requise seulement pour le mouvement non pour le repos, en quoi l’on se trompe entièrement. Car, ainsi qu’il se connaît de soi, la même force qui est requise pour imprimer à un corps quelconque certains degrés de mouvement l’est aussi pour enlever à ce corps les mêmes degrés de mouvement, de façon qu’il vienne au repos. Cela est même prouvé par l’expérience, car il nous faut pour mettre en mouvement un navire au repos dans une eau stagnante une force à peu près égale à celle dont nous avons besoin pour l’arrêter brusquement quand il se meut ; et l’égalité serait assurément complète si nous n’étions aidés pour le retenir par la pesanteur et l’inertie de l’eau soulevée par le navire ;
3° Qu’il dit que le transport se fait du voisinage des corps contigus dans le voisinage d’autres corps, mais non d’un lieu dans un autre. Car le lieu (comme il l’a expliqué article 13, partie ll) n’est pas quelque chose de réel mais dépend seulement de notre pensée, de telle sorte que le même corps peut être dit à la fois changer et ne pas changer de lieu ; mais on ne peut dire qu’il est à la fois transporté et non transporté du voisinage d’un corps contigu ; car seuls certains corps déterminés peuvent être au même instant contigus au même corps mobile ;
4° Qu’il ne dit pas que le transport ait lieu absolument du voisinage des corps contigus, mais de ceux-là seulement qui sont considérés comme étant au repos. Pour qu’un corps A, en effet, soit transporté à distance d’un corps B, la même force est nécessaire d’un côté que de l’autre, ce qui apparaît clairement par l’exemple d’un bateau adhérent à laboue ou au sable qui sont au fond de l’eau ; pour qu’il en soit détaché il faut appliquer la même force au bateau et au fond. Pour cette raison la force qui doit mouvoir des corps se dépense également sur le corps mû et sur celui qui reste immobile.
Le transport d’ailleurs est réciproque, car si le bateau est éloigné du sable, le sable aussi est éloigné du bateau. Si donc, parlant absolument, nous voulions attribuer des mouvements égaux dans des directions opposées à l’un comme à l’autre des deux corps qui se séparent, pour cette raison qu’il y a la même action dans l’un et dans l’autre, nous serions alors contraints d’attribuer tout autant de mouvement aux corps considérés comme immobiles, par exemple au sable duquel le bateau est détaché, qu’aux corps mûs ; car, ainsi que nous l’avons montré, la même action est requise des deux côtés et le transport est réciproque. Mais cela serait se trop écarter de la façon commune de parler. Toutefois, bien que ces corps desquels les autres sont séparés, soient considérés comme immobiles et ainsi dénommés, nous nous rappellerons cependant que tout ce qui est dans le corps mû, à cause de quoi il est dit se mouvoir, est aussi dans le corps immobile.
5° Enfin il apparaît clairement par cette Définition que chaque corps a seulement un mouvement qui lui soit propre parce qu’on le conçoit comme s’éloignant seulement de certains corps déterminés à lui contigus et immobiles. Toutefois, si le corps mû est une partie d’autres corps ayant d’autres mouvements, nous connaissons clairement qu’il peut avoir part à des mouvements innombrables ; mais comme il n’est pas facile d’en concevoir à la fois une telle quantité et que tous ne peuvent même pas dire reconnus, il suffira de considérer dans chaque corps cet unique mouvement qui lui est propre (Voir Principes, partie II, art. 31).