EII - Proposition 13 - scolie
Par ce qui précède nous ne connaissons pas seulement que l’Âme humaine est unie au Corps, mais aussi ce qu’il faut entendre par l’union de l’Âme et du Corps. Personne cependant ne pourra se faire de cette union une idée adéquate, c’est-à-dire distincte, s’il ne connaît auparavant la nature de notre Corps. Car ce que nous avons montré jusqu’ici est tout à fait commun et se rapporte également aux hommes et aux autres individus, lesquels sont tous animés, bien qu’à des degrés divers. Car d’une chose quelconque de laquelle Dieu est cause, une idée est nécessairement donnée en Dieu, de la même façon qu’est donnée l’idée du Corps humain, et ainsi l’on doit dire nécessairement de l’idée d’une chose quelconque ce que nous avons dit de l’idée du Corps humain. Nous ne pouvons nier cependant que les idées diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes, et que l’une l’emporte sur l’autre en excellence et contient plus de réalité dans la mesure où l’objet de l’une emporte sur l’objet de l’autre et contient plus de réalité ; pour cette raison, pour déterminer en quoi l’Âme humaine diffère des autres et l’emporte sur elles, il nous est nécessaire de connaître la nature de son objet, tel que nous l’avons fait connaître, c’est-à-dire du Corps humain. Je ne peux toutefois l’expliquer ici et cela n’est pas nécessaire pour ce que je veux démontrer. Je dis cependant en général que, plus un Corps est apte comparativement aux autres à agir et à pâtir de plusieurs façons à la fois, plus l’âme de ce Corps est apte comparativement aux autres à percevoir plusieurs choses à la fois ; et, plus les actions d’un corps dépendent de lui seul, et moins il y a d’autres corps qui concourent avec lui dans l’action, plus l’âme de ce corps est apte à connaître distinctement. Par là nous pouvons connaître la supériorité d’une âme sur les autres, nous pouvons voir aussi la cause pour quoi nous n’avons de notre Corps qu’une connaissance tout à fait confuse, et plusieurs autres choses que je déduirai ci-après de ce qui précède. Pour ce motif j’ai cru qu’il valait la peine de l’expliquer et démontrer plus soigneusement, et, pour cela, il est nécessaire de poser d’abord quelques prémisses au sujet de la nature des corps. [*]
SCHOLIUM :
Ex his non tantum intelligimus mentem humanam unitam esse corpori sed etiam quid per mentis et corporis unionem intelligendum sit. Verum ipsam adæquate sive distincte intelligere nemo poterit nisi prius nostri corporis naturam adæquate cognoscat. Nam ea quæ hucusque ostendimus, admodum communia sunt nec magis ad homines quam ad reliqua individua pertinent, quæ omnia quamvis diversis gradibus animata tamen sunt. Nam cujuscunque rei datur necessario in Deo idea cujus Deus est causa eodem modo ac humani corporis ideæ atque adeo quicquid de idea humani corporis diximus, id de cujuscunque rei idea necessario dicendum est. Attamen nec etiam negare possumus ideas inter se ut ipsa objecta differre unamque alia præstantiorem esse plusque realitatis continere prout objectum unius objecto alterius præstantius est plusque realitatis continet ac propterea ad determinandum quid mens humana reliquis intersit quidque reliquis præstet, necesse nobis est ejus objecti ut diximus hoc est corporis humani naturam cognoscere. Eam autem hic explicare nec possum nec id ad ea quæ demonstrare volo, necesse est. Hoc tamen in genere dico quo corpus aliquod reliquis aptius est ad plura simul agendum vel patiendum, eo ejus mens reliquis aptior est ad plura simul percipiendum et quo unius corporis actiones magis ab ipso solo pendent et quo minus alia corpora cum eodem in agendo concurrunt, eo ejus mens aptior est ad distincte intelligendum. Atque ex his præstantiam unius mentis præ aliis cognoscere possumus, deinde causam etiam videre cur nostri corporis non nisi admodum confusam habeamus cognitionem et alia plura quæ in sequentibus ex his deducam. Qua de causa operæ pretium esse duxi hæc ipsa accuratius explicare et demonstrare, ad quod necesse est pauca de natura corporum præmittere.
[*] (Saisset) : Ce qui précède fait comprendre, non seulement que l’âme humaine est unie au corps, mais aussi en quoi consiste cette union. Toutefois, on ne s’en formera une idée adéquate et distincte qu’à condition de connaître premièrement la nature de notre corps, tout ce qui a été exposé jusqu’à ce moment étant d’une application générale et ne se rapportant pas plus à l’homme qu’aux autres individus de la nature ; car tous à des degrés divers sont animés. De toutes choses, en effet, il y a nécessairement en Dieu une idée dont Dieu est cause, de la même façon qu’il l’est aussi de l’idée du corps humain, et par conséquent tout ce que nous disons de l’idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l’idée de toute autre chose quelconque. Et toutefois, nous ne voulons pas nier que les idées ne diffèrent entre elles comme les objets eux-mêmes, de sorte que l’une est supérieure à l’autre et contient une réalité plus grande à mesure que l’objet de celle-ci est supérieur à l’objet de celle-là et contient une réalité plus grande. C’est pourquoi, si nous voulons déterminer en quoi l’âme humaine se distingue des autres âmes et par où elle leur est supérieure, il est nécessaire que nous connaissions la nature de son objet, savoir le corps humain. C’est ce que je ne puis faire ici, et cela n’est pas d’ailleurs nécessaire aux démonstrations que je veux établir. Je me borne à dire en général qu’à mesure qu’un corps est plus propre que les autres à agir ou à pâtir simultanément d’un grand nombre de façons, il est uni à une âme plus propre à percevoir simultanément un grand nombre de choses ; et plus les actions d’un corps dépendent de lui seul, en d’autres termes, moins il a besoin du concours des autres corps pour agir, plus l’âme qui lui est unie est propre à la connaissance distincte. Et par là on peut connaître la supériorité d’une âme sur les autres, et apercevoir aussi pour quelle raison nous n’avons de notre corps qu’une connaissance très confuse, et plusieurs autres choses que je déduirai par la suite de celle-là. C’est pour cela que j’ai jugé convenable de les expliquer ici et de les démontrer avec plus de soin encore que je n’ai fait jusqu’à ce moment, et il est nécessaire, afin d’y réussir, de placer ici quelques notions préliminaires touchant la nature des corps.