EIII - Proposition 26 - scolie


Nous le voyons par là, il arrive facilement que l’homme fasse cas de lui-même et de la chose aimée plus qu’il n’est juste et, au contraire, de la chose qu’il hait moins qu’il n’est juste ; cette imagination, quand elle concerne l’homme lui-même qui fait de lui plus de cas qu’il n’est juste, s’appelle Orgueil, et est une espèce de Délire, puisque l’homme rêve les yeux ouverts qu’il peut tout ce qu’il embrasse par sa seule imagination, le considère pour cette raison comme réel et en est ravi, tandis qu’il ne peut imaginer ce qui en exclut l’existence et limite sa propre puissance d’agir. L’Orgueil donc est une Joie née de ce que l’homme fait de lui-même plus de cas qu’il n’est juste. La Joie ensuite, qui naît de ce que l’homme fait d’un autre plus de cas qu’il n’est juste, s’appelle Surestime ; et enfin Mésestime, celle qui naît de ce qu’il fait d’un autre moins de cas qu’il n’est juste. [*]


His videmus facile contingere ut homo de se deque re amata plus justo et contra de re quam odit, minus justo sentiat, quæ quidem imaginatio quando ipsum hominem respicit qui de se plus justo sentit, superbia vocatur et species delirii est quia homo oculis apertis somniat se omnia illa posse quæ sola imaginatione assequitur quæque propterea veluti realia contemplatur iisque exultat quamdiu ea imaginari non potest quæ horum existentiam secludunt et ipsius agendi potentiam determinant. Est igitur superbia lætitia ex eo orta quod homo de se plus justo sentit. Deinde lætitia quæ ex eo oritur quod homo de alio plus justo sentit, existimatio vocatur et illa denique despectus quæ ex eo oritur quod de alio minus justo sentit.

[*(Saisset :) Nous voyons par ce qui précède qu’il arrive aisément qu’un homme pense de soi ou de ce qu’il aime plus de bien qu’il ne faut, et au contraire, moins de bien qu’il ne faut de ce qu’il hait. Quand cette pensée regarde la personne même qui pense de soi plus de bien qu’il ne faut, c’est l’orgueil, sorte de délire où l’homme, rêvant les yeux ouverts, se croit capable de toutes les perfections que son imagination lui peut représenter, et les aperçoit dès lors comme des choses réelles, et s’exalte à les contempler, tant qu’il est incapable de se représenter ce qui en exclut l’existence et détermine en certaines limites sa puissance d’agir. L’orgueil, c’est donc la joie qui provient de ce que l’homme pense de soi plus de bien qu’il ne faut. Maintenant, la joie qui provient de ce que l’homme pense d’autrui plus de bien qu’il ne faut, c’est l’estime ; et celle enfin qui provient de ce que l’homme pense d’autrui moins de bien qu’il ne faut, c’est le mépris.