EIII - Proposition 56 - scolie
Parmi ces espèces d’affections, qui (Prop. préc.) doivent être très nombreuses, les notoires sont la Gourmandise, l’Ivrognerie, la Lubricité, l’Avarice et l’Ambition, lesquelles ne sont que des désignations de l’Amour ou du Désir expliquant la nature de l’une et l’autre affections par les objets où elles se rapportent. Par Gourmandise, Ivrognerie, Lubricité, Avarice et Ambition, nous n’entendons rien d’autre en effet qu’un Amour ou un Désir immodéré de la chère, de la boisson, du coït, des richesses et de la gloire. De plus, ces affections, en tant que nous les distinguons des autres par l’objet où elles se rapportent, n’ont pas de contraires. Car la Tempérance et la Sobriété et enfin la Chasteté, que nous avons accoutumé d’opposer à la Gourmandise, à l’Ivrognerie et à la Lubricité, ne sont pas des affections ou des passions, mais manifestent la puissance de l’âme qui gouverne ces affections. Je ne peux d’ailleurs ici expliquer les autres espèces d’Affections (y en ayant autant que d’espèces d’objets) et, si même je le pouvais, cela n’est pas nécessaire. Car pour l’exécution de notre dessein qui est de déterminer les forces des affections et la puissance qu’a l’Âme sur elles, il nous suffit d’avoir une définition générale de chaque affection. Il nous suffit, dis-je, de connaître les propriétés communes des Affections et de l’Âme, pour pouvoir déterminer de quelle sorte et de quelle grandeur est la puissance de l’Âme pour gouverner et réduire les Affections. Bien qu’il y ait une grande différence entre telle et telle affection d’Amour, de Haine ou de Désir, par exemple, entre l’Amour qu’on a pour ses enfants et l’Amour qu’on a pour sa femme, nous n’avons donc pas besoin de connaître ces différences et de pousser plus outre l’étude de la nature et de l’origine des affections. [*]
Inter affectuum species quæ (per propositionem præcedentem) perplurimæ esse debent, insignes sunt luxuria, ebrietas, libido, avaritia et ambitio, quæ non nisi amoris vel cupiditatis sunt notiones quæ hujus utriusque affectus naturam explicant per objecta ad quæ referuntur. Nam per luxuriam, ebrietatem, libidinem, avaritiam et ambitionem nihil aliud intelligimus quam convivandi, potandi, coeundi, divitiarum et gloriæ immoderatum amorem vel cupiditatem. Præterea hi affectus quatenus eos per solum objectum ad quod referuntur ab aliis distinguimus, contrarios non habent. Nam temperantia quam luxuriæ et sobrietas quam ebrietati et denique castitas quam libidini opponere solemus, affectus seu passiones non sunt sed animi indicant potentiam quæ hos affectus moderatur. Cæterum reliquas affectuum species hic explicare nec possum (quia tot sunt quot objectorum species) nec si possem, necesse est. Nam ad id quod intendimus nempe ad affectuum vires et mentis in eosdem potentiam determinandum, nobis sufficit uniuscujusque affectus generalem habere definitionem. Sufficit inquam nobis affectuum et mentis communes proprietates intelligere ut determinare possimus qualis et quanta sit mentis potentia in moderandis et coercendis affectibus. Quamvis itaque magna sit differentia inter hunc et illum amoris, odii vel cupiditatis affectum exempli gratia inter amorem erga liberos et inter amorem erga uxorem, nobis tamen has differentias cognoscere et affectuum naturam et originem ulterius indagare, non est opus.
[*] (Saisset :) Entre les différentes espèces de passions, lesquelles doivent être en très-grand nombre (d’après la Propos. précédente), il en est qui sont particulièrement célèbres, comme l’intempérance, l’ivrognerie, le libertinage, l’avarice, l’ambition. Toutes ces passions se résolvent dans les notions de l’amour et du désir, et ne sont autre chose que l’amour et le désir rapportés à leurs objets. Nous n’entendons, en effet, par l’intempérance, l’ivrognerie, le libertinage, l’avarice et l’ambition, rien autre chose qu’un amour ou un désir immodéré des festins, des boissons, des femmes, de la richesse et de la gloire. On remarquera que ces passions, en tant qu’on ne les distingue les unes des autres que par leurs objets, n’ont pas de contraires. Car la tempérance, la sobriété, la chasteté, qu’on oppose à l’intempérance, à l’ivrognerie, au libertinage, ne sont pas des passions ; elles marquent la puissance dont l’âme dispose pour modérer les passions.
Quant aux autres espèces de passion, je ne puis les expliquer ici (parce qu’elles sont aussi nombreuses que les objets qui les produisent), et je pourrais le faire que cela serait inutile. Car pour le but que je me propose en ce moment, qui est de déterminer la force des passions et celle dont l’âme dispose à leur égard, il suffit d’avoir une définition générale de chaque passion. Il suffit, dis-je, de comprendre les propriétés générales des passions et de l’âme pour déterminer quelle est la nature et le degré de la puissance que l’âme possède pour modérer et contenir les passions. Ainsi donc, bien qu’il y ait une grande différence entre tel et tel amour, telle et telle haine, tel et tel désir, par exemple , entre l’amour qu’on a pour ses enfants et celui qu’on a pour une épouse, il n’est point nécessaire à notre objet de connaître ces différences, et de pousser plus loin la recherche de la nature et de l’origine des passions.