EIV - Proposition 20 - scolie


Personne donc n’omet d’appéter ce qui lui est utile ou de conserver son être, sinon vaincu par des causes extérieures et contraires à sa nature. Ce n’est jamais, dis-je, par une nécessité de sa nature, c’est toujours contraint par des causes extérieures qu’on a la nourriture en aversion ou qu’on se donne la mort, ce qui peut arriver de beaucoup de manières ; l’un se tue, en effet, contraint par un autre qui lui retourne la main, munie par chance d’un glaive, et le contraint à diriger ce glaive vers son propre cœur ; ou encore on est, comme Sénèque, contraint par l’ordre d’un tyran de s’ouvrir les veines, c’est-à-dire qu’on désire éviter un mal plus grand par un moindre, ou, enfin, c’est par des causes extérieures ignorées disposant l’imagination et affectant le Corps de telle sorte qu’à sa nature se substitue une nature nouvelle contraire et dont l’idée ne peut être dans l’Âme (Prop. 10, p. III). Mais que l’homme s’efforce par la nécessité de sa nature à ne pas exister, ou à changer de forme, cela est aussi impossible qu’il est impossible que quelque chose soit fait de rien, comme un peu de réflexion permet à chacun de le voir. [*]


Nemo igitur nisi a causis externis et suæ naturæ contrariis victus suum utile appetere sive suum esse conservare negligit. Nemo inquam ex necessitate suæ naturæ sed a causis externis coactus alimenta aversatur vel se ipsum interficit, quod multis modis fieri potest nempe interficit aliquis se ipsum coactus ab alio qui ejus dexteram qua ensem casu prehenderat, contorquet et cogit versus cor ipsum gladium dirigere vel quod ex mandato tyranni ut Seneca cogatur venas aperire suas hoc est majus malum minore vitare cupiat vel denique ex eo quod causæ latentes externæ ejus imaginationem ita disponunt et corpus ita afficiunt ut id aliam naturam priori contrariam induat et cujus idea in mente dari nequit (per propositionem 10 partis III). At quod homo ex necessitate suæ naturæ conetur non existere vel in aliam formam mutari, tam est impossibile quam quod ex nihilo aliquid fiat, ut unusquisque mediocri meditatione videre potest.

[*(Saisset :) Personne ne cesse donc de désirer ce qui lui est utile et ne néglige la conservation de son être que vaincu par les causes extérieures qui sont contraires à sa nature. Personne n’est donc déterminé par la nécessite de sa nature, mais seulement par les causes extérieures, à se priver d’aliments, ou à se donner lui-même la mort. Ainsi, celui qui tire par hasard son épée et à qui un autre saisit la main en le forçant de se frapper lui-même au coeur, celui-là se tue parce qu’il y est contraint par une cause étrangère. Il en est de même d’un homme que l’ordre d’un tyran force à s’ouvrir les veines, comme Sénèque, afin d’éviter un mal plus grand. Enfin, il peut arriver que des causes extérieures cachées disposent l’imagination d’une personne et affectent son corps de telle façon que ce corps revête une autre nature contraire à celle qu’il avait d’abord, et dont l’idée ne peut exister dans l’âme (par la Propos. 10, part. 3). Mais que l’homme fasse effort par la nécessité de sa nature pour ne pas exister ou pour changer d’essence, cela est aussi impossible que la formation d’une chose qui viendrait de rien ; et il suffit d’une médiocre attention pour s’en convaincre.