EIV - Proposition 35 - scolie
Ce que nous venons de montrer, l’expérience même l’atteste chaque jour par des témoignages si clairs que presque tous répètent : l’homme est un Dieu pour l’homme. Il est rare cependant que les hommes vivent sous la conduite de la Raison ; telle est leur disposition que la plupart sont envieux et cause de peine les uns pour les autres. Ils ne peuvent cependant guère passer la vie dans la solitude et à la plupart agrée fort cette définition que l’homme est un animal sociable ; et en effet les choses sont arrangées de telle sorte que de la société commune des hommes naissent beaucoup plus d’avantages que de dommages. Que les Satiriques donc tournent en dérision les choses humaines, que les Théologiens les détestent, que les Mélancoliques louent, tant qu’ils peuvent, une vie inculte et agreste, qu’ils méprisent les hommes et admirent les bêtes ; les hommes n’en éprouveront pas moins qu’ils peuvent beaucoup plus aisément se procurer par un mutuel secours ce dont ils ont besoin, et qu’ils ne peuvent éviter les périls les menaçant de partout que par leurs forces jointes ; et je passe ici sous silence qu’il vaut beaucoup mieux considérer les actions des hommes que celles des bêtes, et que ce qui est humain est plus digne de notre connaissance. Mais de cela nous traiterons plus longuement ailleurs. [*]
Quæ modo ostendimus, ipsa etiam experientia quotidie tot tamque luculentis testimoniis testatur ut omnibus fere in ore sit : hominem homini Deum esse. Fit tamen raro ut homines ex ductu rationis vivant sed cum iis ita comparatum est ut plerumque invidi atque invicem molesti sint. At nihilominus vitam solitariam vix transigere queunt ita ut plerisque illa definitio quod homo sit animal sociale, valde arriserit et revera res ita se habet ut ex hominum communi societate multo plura commoda oriantur quam damna. Rideant igitur quantum velint res humanas satyrici easque detestentur theologi et laudent quantum possunt melancholici vitam incultam et agrestem hominesque contemnant et admirentur bruta ; experientur tamen homines mutuo auxilio ea quibus indigent multo facilius sibi parare et non nisi junctis viribus pericula quæ ubique imminent, vitare posse ; ut jam taceam quod multo præstabilius sit et cognitione nostra magis dignum hominum quam brutorum facta contemplari. Sed de his alias prolixius.
[*] (Saisset :) Ce que nous venons de montrer, l’expérience le confirme par des témoignages si nombreux et si décisifs que c’est une parole répétée de tout le monde : L’homme est pour l’homme un Dieu. Il est rare pourtant que les hommes dirigent leur vie d’après la raison, et la plupart s’envient les uns les autres et se font du mal. Cependant, ils peuvent à peine supporter la vie solitaire, et cette définition de l’homme leur plaît fort : L’homme est un animal sociable. La vérité est que la société a beaucoup plus d’avantages pour l’homme qu’elle n’entraîne d’inconvénients. Que les faiseurs de satires se moquent donc tant qu’il leur plaira des choses humaines ; que les théologiens les détestent à leur gré, que les mélancoliques vantent de leur mieux la vie grossière des champs, qu’ils méprisent les hommes et prennent les bêtes en admiration ; l’expérience dira toujours aux hommes que des secours mutuels leur donneront une facilité plus grande à se procurer les objets de leurs besoins, et que c’est seulement en réunissant leurs forces qu’ils éviteront les périls qui les menacent de toutes parts. Mais je m’abstiens d’insister ici, pour montrer qu’il est de beaucoup préférable et infiniment plus digne de notre intelligence de méditer sur les actions des hommes que sur celles des bêtes. Tout cela sera développé plus tard avec étendue.