EIV - Proposition 54 - scolie


Les hommes ne vivant guère sous le commandement de la Raison, ces deux affections, je veux dire l’Humilité et le Repentir, et en outre l’Espoir et la Crainte, sont plus utiles que dommageables ; si donc il faut pécher, que ce soit plutôt dans ce sens. Si en effet les hommes impuissants intérieurement étaient tous pareillement orgueilleux, s’ils n’avaient honte de rien et ne craignaient rien, comment pourraient-ils être maintenus unis et disciplinés ? La foule est terrible quand elle est sans crainte ; il n’y a donc pas à s’étonner que les Prophètes, pourvoyant à l’utilité commune, non à celle de quelques-uns, aient tant recommandé l’Humilité, le Repentir et le Respect. Et en effet ceux qui sont soumis à ces affections peuvent, beaucoup plus facilement que d’autres, être conduits à vivre enfin sous la conduite de la Raison, c’est-à-dire à être libres et à jouir de la vie des bienheureux. [*]


Quia homines raro ex dictamine rationis vivunt, ideo hi duo affectus nempe humilitas et pœnitentia et præter hos spes et metus plus utilitatis quam damni afferunt atque adeo quandoquidem peccandum est, in istam partem potius peccandum. Nam si homines animo impotentes æque omnes superbirent, nullius rei ipsos puderet nec ipsi quicquam metuerent, qui vinculis conjungi constringique possent ? Terret vulgus nisi metuat ; quare non mirum quod prophetæ qui non paucorum sed communi utilitati consuluerunt, tantopere humilitatem, pœnitentiam et reverentiam commendaverint. Et revera qui hisce affectibus sunt obnoxii, multo facilius quam alii duci possunt ut tandem ex ductu rationis vivant hoc est ut liberi sint et beatorum vita fruantur.

[*(Saisset :) Les hommes ne dirigeant que rarement leur vie d’après la raison, il arrive que ces deux passions de l’humilité et du repentir, comme aussi l’espérance et la crainte qui en dérivent, sont plus utiles que nuisibles ; et puisque enfin les hommes doivent pécher, il vaut encore mieux qu’ils pèchent de cette manière. Car si les hommes dont l’âme est impuissante venaient tous à s’exalter également et par l’orgueil, ils ne seraient plus réprimés par aucune honte, par aucune crainte, et on n’aurait aucun moyen de les tenir en bride et de les enchaîner. Le vulgaire devient terrible dès qu’il ne craint plus. Il ne faut donc point s’étonner que les prophètes, consultant l’utilité commune et non celle d’un petit nombre, aient si fortement recommandé l’humilité, le repentir et la subordination. Car on doit convenir que les hommes dominés par ces passions sont plus aisés à conduire que les autres et plus disposés à mener une vie raisonnable, c’est-à-dire à devenir libres et à jouir de la vie des heureux.