EV - Proposition 42 - scolie
J’ai achevé ici ce que je voulais établir concernant la puissance de l’Âme sur ses affections et la liberté de l’Âme. Il apparaît par là combien vaut le Sage et combien il l’emporte en pouvoir sur l’ignorant conduit par le seul appétit sensuel. L’ignorant, outre qu’il est de beaucoup de manières ballotté par les causes extérieures et ne possède jamais le vrai contentement intérieur, est dans une inconscience presque complète de lui-même, de Dieu et des choses et, sitôt qu’il cesse de pâtir, il cesse aussi d’être. Le Sage au contraire, considéré en cette qualité, ne connaît guère le trouble intérieur, mais ayant, par une certaine nécessité éternelle conscience de lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d’être et possède le vrai contentement. Si la voie que j’ai montré qui y conduit, paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l’on y pouvait parvenir sans grand’peine, qu’il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare. [*]
His omnia quæ de mentis in affectus potentia quæque de mentis libertate ostendere volueram, absolvi. Ex quibus apparet quantum sapiens polleat potiorque sit ignaro qui sola libidine agitur. Ignarus enim præterquam quod a causis externis multis modis agitatur nec unquam vera animi acquiescentia potitur, vivit præterea sui et Dei et rerum quasi inscius et simulac pati desinit, simul etiam esse desinit. Cum contra sapiens quatenus ut talis consideratur, vix animo movetur sed sui et Dei et rerum æterna quadam necessitate conscius, nunquam esse desinit sed semper vera animi acquiescentia potitur. Si jam via quam ad hæc ducere ostendi, perardua videatur, inveniri tamen potest. Et sane arduum debet esse quod adeo raro reperitur. Qui enim posset fieri si salus in promptu esset et sine magno labore reperiri posset ut ab omnibus fere negligeretur ? Sed omnia præclara tam difficilia quam rara sunt.
[*] (Saisset :) J’ai épuisé tout ce que je m’étais proposé d’expliquer touchant la puissance de l’âme sur ses passions et la liberté de l’homme. Les principes que j’ai établis font voir clairement l’excellence du sage et sa supériorité sur l’ignorant que l’aveugle passion conduit. Celui-ci, outre qu’il est agité en mille sens divers par les causes extérieures, et ne possède jamais la véritable paix de l’âme, vit dans l’oubli de soi-même, et de Dieu, et de toutes choses ; et pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. Au contraire, l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même et de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ; et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. La voie que j’ai montrée pour atteindre jusque-là paraîtra pénible sans doute, mais il suffit qu’il ne soit pas impossible de la trouver. Et certes, j’avoue qu’un but si rarement atteint doit être bien difficile à poursuivre ; car autrement, comment se pourrait-il faire, si le salut était si près de nous, s’il pouvait être atteint sans un grand labeur, qu’il fût ainsi négligé de tout le monde ? Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare.