"Spinoza au-delà de Marx", par Eric Alliez
Ce texte est d’abord paru in : Éric ALLIEZ, « Spinoza au-delà de Marx », Critique, août-sept. 1981, n° 411-412, pp. 812-821. Sur ANTONIO NEGRI, L’anomalia selvaggia, saggio su potere e potenza in Baruch Spinoza, Milan, Feltrinelli, 1981, 297 p. (L’anomalie sauvage paraît en français en novembre 1982 : A. Negri, L’anomalie sauvage - puissance et pouvoir chez Spinoza, P.U.F., 1982, trad. F. Matheron).
Il s’agit là de la "première" véritable recension (selon l’intéressé à l’époque) du livre de Negri quelques mois après sa parution en Italie (où Negri était traité en "chien crevé") (EA).
Il est des oeuvres, essentiellement énigmatiques, dont le grain évoque une affirmation nomade, une sorte de pari idéal excédant les distributions fixes des modèles préexistants. Gageons qu’à s’inscrire en ce sillage, il faille chercher alors la naissance du pari du côté du monde fluent des problèmes, du côté d’une procédure opérative. Jusqu’à ne le dire plus de la spéculation et de l’hyperbole, mais de toute opération expérimentale, si ouverte au déplacement d’une question (et non à sa résolution) qui lui donne son jeu. Car c’est l’événementialité singulière du déplacement qui lance le pari, lui donne matière et condition, le rend irréductible à toute fonction « économique » ou critique, rebelle aux rituels de la scène dialectique. Le pari ne désignerait donc pas un moment - le moment du renversement - mais un déploiement, un étalement des formes et des puissances : à la surface. Il y a une insistance pelliculaire, une superficialité insistance du pari. Il y a, en ce sens, un pari spinoziste : cela-même qui porte à incandescence le défi d’une pensée - nous dit A. Negri - qui « ne connaît pas plus le négatif que la verticalité des mécanismes de sublimation et de dépassement ». Anomalie sauvage d’un plan d’immanence absolu, loin de l’équilibre théologico-transcendental, où la question n’est plus celle, logique et juridique, de la preuve ontologique, mais de l’autodétermination d’un pari ontologique qui emporte tout à la surface du plan. L’ontologie se détermine comme puissance et productivité actuelles. Exit ivresse dialectique des profondeurs et séduction spéculaire du pouvoir (puissance liée, réservée).
Pensée des surfaces, théorie activiste : de résonance et d’effets. Résonance - « intervenir sur l’avenir, sur la base du discours de Spinoza (...) en attirant Spinoza, ici, devant nous ». Effet - « la rupture subjective de l’unidimentionnalité du développement capitaliste » [1].
Prémisses obligées à une nouvelle interprétation « marxiste » de Spinoza ? ... ou, avec Spinoza, expérimentation d’une « autre » rationalité, dont la figure inédite déjouerait par avance toute assignation dans le cadre convenu de la théorie politique ? Question préjudicielle, question princeps, premier dilemme. Negri a le courage de choisir la deuxième voie et ses difficultés. Ce qui fait l’objet - et le désir - d’un article qui, faute de pouvoir circonscrire l’ouvrage dans l’exhaustivité de ses analyses, se propose, plus modestement, de frayer la voie à l’exigence de son instigation ; d’ouvrir à cette démarche singulière où vient s’inscrire l’écriture de l’anticipation d’une résistance, s’affirmer l’implication « post-dialectique » de l’ontologie spinoziste. « Une ontologie fondée sur la spontanéité des besoins, organisée par l’imagination collective » [2].
Le politique en tant que métaphysique de l’imagination, métaphysique de la constitutio du réel et du monde : ce serait le premier contour d’une anomalie sauvage qui détermine l’ordre univoque de la puissance (potentia) comme dissolution du pouvoir éminent de la médiation et libération de la singularité modale de l’être. Au point d’émergence de l’irréductible éthicité du monde, la philosophie, pour la première fois peut-être, se nie comme science de la médiation. Le plan d’immanence spinoziste sera simultanément fondation du matérialisme moderne à son niveau le plus élevé - inflexion absolument originale dans le cours de la philosophie moderne (Gueroult), option innocente et radicale caractéristique du rationalisme absolu (Deleuze) - et critique de la raison politique : refus de toute mystification juridique du socius, de toute séparation entre société et État, production et constitution. Où il y va, à l’intersection de ces deux lignes, de la « centralité politique de la métaphysique de Spinoza » [3].
Parmi les pages les plus marquantes de Negri, on se reportera à celles qui décrivent l’émergence d’ « une fondation matérialiste du constitutionnalisme démocratique » à partir de l’invention spinoziste d’une mécanique des pulsions individuelles et d’une dynamique des rapports associatifs, - nouvelle économie des forces permettant d’introduire une véritable physique sociale qui finira par bouleverser les caractéristiques fondamentales des philosophies du droit naturel. Au modèle contractuel de Hobbes se substitue l’idée de consensus (« pouvoir et volonté de tous »), à l’individualisme possessif, l’essence productive de la multitudo. De ce point de vue, loin de participer aux origines de l’idéologie bourgeoise de l’État, Spinoza apparaît comme « le premier anti-Hobbes de l’histoire de la pensée politique occidentale » [4]. Mais rompre les charmes de la translation dialectique du droit individuel vers l’absolu et l’universel, n’est-ce pas aussi bien promouvoir un Anti-Rousseau... ou un Anti-Hegel ? Donnant un nouveau champ aux forces en présence, Negri peut alors proposer une lecture risquée de la modernité au phylum classique de la pensée bourgeoise qui, de Hobbes à Rousseau, de Kant à Hegel, élabore le concept juridique de souveraineté, s’oppose avec Machiavel (et Althusius), Spinoza et Marx, le « radicalisme constitutionnel » d’une pensée sauvage refusant toute normativité transcendante de la loi, toute autonomie du politique, pour établir l’irréductibilité de la puissance (potentia) au pouvoir (potestas) conçu comme représentation signifiante de l’unité du corps social. Une autre histoire de la métaphysique donc.
L’intérêt d’une telle lecture demeurerait néanmoins fort limité si Negri ne se livrait qu’à une analyse linéaire, évolutive, voire « contradictoire » de la pensée de Spinoza ; une interprétation chronologique où seule l’étoffe discursive de la sentence politique, au prix d’une constante réduction de l’excès ontologique, mettrait à l’abri d’une soudaine discruption du métaphysique dans le champ forclos du commentaire. La méthode de Negri, parcourue du désir d’exposer le travail de l’œuvre au travail de l’histoire, est toute autre : il s’agit de problématiser l’enjeu des tensions qui hérissent la trame de l’énoncé spinoziste au regard d’une totalité textuelle, de déterminer les effets des lignes de mutation, leurs implications stratégiques, sur les formes initiales d’utopie, de déployer enfin le régime d’anomalité dont est porteur cet espace à dissenssions multiples.
Nous voici de nouveau à l’origine, en situation de paradoxe [5]. « Il y a deux Spinoza qui participent de la culture contemporaine. Le premier exprime la plus haute conscience que la révolution scientifique et la civilisation de la Renaissance aient produites. Le second crée une philosophie de l’avenir. Le premier est le produit du plus haut développement de l’histoire culturelle de son temps. Le second est dislocation et projection des idées de crise et de révolution. Le premier est auteur de l’ordre du capitalisme, le second est peut-être l’auteur d’une constitution future. Le premier représente le plus haut développement de l’idéalisme. Le second participe de la fondation du matérialisme, de sa beauté » [6].
C’est d’abord à suivre les généalogies multiples de cette double politique, de cette politique du double, que Negri va s’employer, rapportant l’anomalie spinoziste à ladite « anomalie hollandaise ». Mouvement autochtone dont rendrait difficilement compte une analyse institutionnelle des Pays-Bas, tant l’anomalie réside précisément dans le rapport conjoncturel qu’entretiennent forces et formes politiques avec la dynamique économique réelle. La République hollandaise ? Un projet de domination et de reproduction sauvage, dont la vérité serait plus à chercher du côté de la V.O.C. (c’est-à-dire la Vereenigde Oost-Indische Compagnie) que d’une quelconque figure constitutionnelle. L’attraction fascinée que suscite la Hollande dans toute l’Europe du XVIIè siècle se confond avec le rêve humaniste d’une « vertueuse coïncidence de l’appropriation individuelle et de la socialisation des forces productives » [7]. Un néo-platonisme « rénové », réduit à l’universelle correspondance des causes et des effets, vécu dans la connexion nécessaire de l’existence subjective et de l’essence objective, de l’individu et de la collectivité, fournira le schème philosophique de cet imaginaire enveloppé dans la « première idéologie du marché ». A notre sens, Negri montre de manière exemplaire l’importance décisive de cette représentation dans la formation de l’utopie panthéiste du premier Spinoza, - utopie d’une homologie absolue entre raison et foi, utopie d’une synthèse spontanée entre totalité et multiplicité, substance et mode [8].
Mais autour des années 1660, s’ouvre une longue période de crise, culminant avec l’élimination des frères de Witt et la restauration orangiste, qui va s’avérer particulièrement efficace dans l’élimination de la singularité de l’expérience et de l’idéologie hollandaises. Crise dont l’effet majeur sera d’invalider le sens de la genèse néo-platonicienne du système, rendant inévitable l’acceptation de la nature « critique » du développement capitaliste : « Hobbes devient véritablement (...) le Marx de la bourgeoisie. L’instance bourgeoise d’appropriation appelle (...) un rapport de sujétion (...). A ce point, les solutions sont au nombre de deux : ou restaurer la linéarité et l’essentialité des procès constitutifs à travers la médiation et la surdétermination d’une fonction de commandement (funzione di commando), - c’est la ligne maîtresse de l’utopie bourgeoise du marché ; ou, et c’est la ligne spinoziste, identifier dans le passage d’une pensée de la surface vers une théorie de la constitution de la pratique, la voie du dépassement de la crise et de la continuité du projet révolutionnaire » [9]. Parce que le terrain de l’individualisme possessif rend incontournable la construction hobbienne, Spinoza se lancera, avec les livres III et IV de l’Ethique, dans la folle création d’un nouvel horizon ontologique basé sur une phénoménologie de la pratique et de la liberté collectives. C’est donc « l’idée de multitudo (qui) transforme le potentiel ’renaissance’ (...) en projet et généalogie du collectif comme articulation et constitution conscientes (...) de la totalité » [10]. Alors que chez Hobbes, la crise saturait l’horizon métaphysique, l’idée de crise, subsumée dans le procès ontologique, met en branle avec Spinoza tous les mécanismes nécessaires à la constitution du collectif comme puissance sociale. La Crise - origine radicale du matérialisme moderne ?
L’irruption de la crise dans le cadre de l’utopie initiale induit donc une refondation métaphysique du système, passant par la dislocation du procès généalogique de la substance qu’assurait la dynamique des attributs. L’extinction progressive de la figure de l’attribut annoncerait un véritable renversement ontologique [11]. « Confronté au dualisme, Spinoza refuse l’hypostase ou la médiation pour retourner l’absoluité divine sur le monde des modes » [12]. D’où l’extrême importance des diverses propositions du livre II de l’Ethique consacrées à la connaissance comme intuition, en tant qu’elles marquent - selon Negri - l’abandon définitif de toute concordance formelle entre totalité substantielle et multiplicité modale. Au gré d’une connaissance qui se détermine dans l’identité ontologique des choses, l’absolu est attribué au monde, révélé par le monde, dans sa pluralité singulière. Dès lors, « c’est l’histoire qui doit refonder l’ontologie ou, plus exactement, c’est l’ontologie qui doit se dissoudre dans la morale et dans l’historicité pour devenir ontologie constitutive » [13].
Le Traité théologico-politique marque l’instauration de cette nouvelle logique au cœur du procès ontologique. L’interruption de la rédaction de l’Éthique, dans ces années 1665-1670, ne relève pas d’une parenthèse mais bien plutôt d’une relance de la dynamique constitutive « à l’intérieur du monde de l’imagination à la surface du monde tout court ». La critique de l’imagination prophétique se fait affirmation de la positivité de la volonté et de la liberté ; l’action humaine devient puissance constitutive. Mais, si « l’imagination représente le champ sur lequel émerge la nécessité d’un renversement global de la métaphysique spinoziste » [14] - à travers une herméneutique de la Révélation -, il faut noter que les niveaux de définition ontologique s’ajustent de façon encore précaire sur le plan d’immanence ; ce dont témoignent les lettres « à Monsieur Hudde ». En fait, le déploiement de la puissance exigera un nouveau scénario métaphysique. Et c’est sans doute pour n’avoir pas rompu définitivement avec la problématique universaliste du droit naturel, que Spinoza hésite à concrétiser dans une dimension historique les effets de sa critique de l’enseignement apostolique. A défaut de l’introduction des notions communes pour représenter la composition des rapports interindividuels, la réduction de la foi à l’état de condition a priori de la socialité humaine ne suffit pas à affranchir les forces constitutives de l’imagination des fictions et abstractions qui en limitent l’exercice. A ce point encore, tout va rebondir. Élucidée la césure systématique du T.T.P. [15], c’est maintenant l’incursion dans le politique qui justifie le retour à l’ontologie.
Physique des forces, théorie de la puissance. Avec la reprise de l’Ethique, la théorie du conatus est toute entière tournée vers l’exploration de la puissance comme unique horizon métaphysique possible. Dynamique constitutive de l’Etre, causalité immanente à la surface du monde, émergence consciente de l’existant non finalisé - le conatus exprime la fonction existentielle de l’essence. D’où ce Livre III qui n’aura d’autre but que de « parvenir à la synthèse dynamique, constitutive de la spontanéité du monde de la modalité, à travers le mouvement indéfini de sa causalité, ou de l’Esprit, comme imputation interne simultanée de la puissance infinie » [16]. L’essence du monde sera définie comme puissance d’agir, pouvoir d’être affecté, degré de puissance (conatus), à l’intérieur d’une analytique des passions qui marque le point de consolidation subjective de l’ontologie spinoziste.
A suivre la lecture de Negri, de trois points de vue au moins cette théorie du conatus a une importance décisive. En premier lieu, l’immédiateté ontologique devient porteur d’une figure normative s’écartant de toute tentation transcendantale. Contre les philosophies politiques qui se réclament d’une théorie absolue de l’obligation, la norme n’est rien d’autre que l’« effet d’une action tendantielle recomprenant systématiquement en soi la généralité des impulsions matérielles qui la déterminent » [17]. Avec le conatus, l’existence pose l’essence, la présence constitue la tendance : elle est auto-normée : la puissance détermine le droit. Tout ceci concourant à éclairer l’étrange paradoxe d’une liberté conçue comme « libre nécessité »...
Il en découle aussi l’ouverture d’un horizon nouveau : ce que Negri appelle, se référant aux propositions 29-42 du Livre III, la socialisation des affects. Rappelons simplement que le conatus, en tant que conquête d’une dimension intersubjective, s’inscrit à l’encontre de toute autonomie d’un Sujet promu au rang de principe, valeur ou fondement. L’individualité n’est pas chez Spinoza un donné, mais un processus ouvert au monde. Unité de composition variable, combinatoire de rapports caractéristiques, la subjectivité est effectuation singulière de la dynamique sociale : élément de la structure de l’être socialement déployée. Si bien que « l’universalité de l’être métaphysique s’est faite exhubérance de l’être pratique » [18].
Enfin, si la séquence « conatus-appetitus-cupiditas » forme la trame à travers laquelle se déploie la tension de l’essence à l’existence, la cupiditas - synthèse du conatus physique et de la potentia mentis, appétit doué de conscience - désigne un mouvement de libération en développement continu. Et l’infini devient lui-même organisation de la libération humaine : « puisque l’action éthique est constituée par la puissance même qui définit l’infini, l’infini ne sera pas simplement ’organisé’ par l’action éthique, comme un objet par un sujet, il se présentera bien plus comme organisation structurale de l’éthique, du sujet et de l’objet, dans leur adéquation, - infini, expression de la puissance infinie, organisation de la puissance : ce sont des éléments interchangeables sur la grande prospective de l’agir humain » [19]. La libération est expression de la continuité subjective de l’être, vérité de l’action éthique. La libération est liberté.
Reste la grande énigme du dernier livre de l’Éthique, dont on voit mal le statut que pourrait lui accorder une telle lecture. Comment expliquer, au terme du parcours, la réaffirmation d’une thématique de l’attribut, ou le retour à une perspective gnoséologique et ascétique ? Tout semble indiquer que nous nous trouvions de nouveau confrontés à l’impossible duplicité du corpus spinoziste... A moins - et c’est l’hypothèse de Negri - que nous assistions à la reproduction simulée de la césure théorique, simulée pour être sublimée ; l’inscription de l’histoire interne du système [20] au cœur de l’achèvement ontologique du projet éthique aurait vertu de catharsis. Comme s’il fallait affronter une dernière fois l’utopie au niveau de son expression la plus haute (le troisième genre de connaissance) pour que la désutopie soit enfin à même de rassembler les forces nécessaires à sa complète auto-définition...
Et, ce qui rend cette hypothèse vraisemblable, c’est que l’instance constitutive pénètre, investit, les points les plus élevés de l’instance ascétique. On voit bien que la proposition XX, par exemple, annule le sens du « rétablissement » qu’elle se devrait d’assurer : au moment même où « l’amour envers Dieu » se propose de reconquérir une tension verticale sur le monde, est immédiatement réaffirmée la dimension horizontale de l’imagination et de la socialité qui l’« alimente » [21]. Et puis, il y a ces difficultés rencontrées sur la voie du troisième genre de connaissance, difficultés qui culminent avec l’intervention de la cause formelle dans sa définition [22], alors que toute l’Éthique se présente comme une théorie de la causalité efficiente, une philosophie de la puissance comme cause efficiente. Les dernières propositions ne se feront pas faute de le rappeler. Le livre de Antonio Negri est ordonné à cette révolution : la découverte d’un fondement ontologique qui s’identifie avec l’affirmation de la plénitude de l’être productif contre toute médiation transcendantale, contre tout dualisme reproduisant la césure sujet/objet. De la production comme ontologie constitutive. Car l’anomalie sauvage, c’est aussi le paradoxe d’une pensée « naturaliste » qui n’envisage plus le monde comme nature (première) mais comme production (sociale). Ceci posé, « la physique -c’est-à-dire la négation spécifique de la philosophie en tant que science générique de l’être - devient la base du système spinoziste » [23]. Et l’imagination elle-même, puissance matérielle de l’être social, relève d’une physique des comportements collectifs. D’où il appert que la « physique » n’est rien d’autre qu’expression du mouvement transversal de l’être comme horizon de la modalité. Dans le droit fil de son Marx au-delà de Marx [24], Negri traduit ce mouvement dans les termes suivants : l’érection de la production sociale en principe d’une ontologie constitutive est la trame du procès de libération des forces alternatives à la valorisation capitalistique,. - c’est l’inscription du principe de révolution au lieu d’émergence de la philosophie moderne.
ERIC ALLIEZ.
Merci à Eric Alliez d’avoir permis la publication de ce texte ici.
[1] A. Negri, op. cit., respectivement p. 249, 16-17.
[2] Op. cit., p. 17.
[3] Op. cit., p. 113, note 52 : « Ainsi, dans l’interprétation, nous nous trouvons face à ceux qui étudient la métaphysique, considérant importante mais secondaire la pensée politique, mais aussi face à ceux qui étudient la pensée politique et la considèrent centrale, mais qui n’incluent pas la métaphysique spinoziste dans le politique. Je suis, au contraire, convaincu, comme je tente de le démontrer, de la centralité, politique de la métaphysique de Spinoza. »
[4] Idem., p. 142. Pour une analyse moins « tendancielle » et plus différenciée du rapport Spinoza-Hobbes, on se reportera à G. DELEUZE, Spinoza et le problème de l’expression, Ed. de Minuit, 1968, p. 234-247, qui s’attache à montrer la dette de Spinoza à l’égard de Hobbes (« une conception du droit de nature qui s’oppose profondément à la théorie classique de la loi naturelle »), même si « le souverain n’est pas, comme chez Hobbes, un tiers au bénéfice duquel se ferait le contrat des particuliers. Le souverain est le tout ; le contrat se fait entre individus, mais qui transfèrent leurs droits au tout qu’ils forment en contractant ». D’où l’idée de consensus, qui privilégie davantage la description spinoziste de la cité comme personne collective, « masse conduite en quelque sorte par une même pensée » (Traité politique, chap. 3, 2).
Cf., également, la préface de A. NEGRI à l’édition italienne du livre de C.B. Macpherson (La théorie politique de l’individualisme possessif, de Hobbes à Locke, trad. fr., Gallimard, 1972), repris dans l’appendice 1 à « l’anomalia selvaggia », et la virulente critique (souvent justifiée) de J. FREUND contre C.B. Macpherson, « Marxisme et XVIIè siècle, ou les limites de l’interprétation marxiste », Critique, juin 1972.
[5] Fallait-il citer l’inoubliable phrase de Burroughs : « Nous sommes revenus au début, sauf qu’il part au lieu d’arriver... » ?
[6] A. NEGRI, ibid., p. 22
[7] Op. cit., p. 38.
[8] Sur la présence d’« éléments sauvages » dans la formation de la pensée de Spinoza, cf. « la bottega spinoziana », p. 27-36. Le « centre moteur de la pensée spinoziste » est ainsi défini : « Une pensée de la Renaissance, dans laquelle l’immanentisme naturaliste est poussé à la limite d’une conception à la fois absolument ontologique et absolument rationaliste. » 11 faudrait encore ajouter : antifinaliste.
[9] A. NEGRI, op. cit., p 40-41.
[10] Ibid., p. 42.
[11] Cf. note 50, p. 111-112. A. Negri se réfère à l’interprétation de G. Deleuze qui, dans une toute autre perspective (de fondation et non de transformation de l’ontologie) - ce que ne semble pas voir A. Negri -, insiste sur la mutation de signe subie par la dynamique productive de l’attribut.
[12] Op. cit., p. 111. La proposition XIII de Ethique, II, marquerait « le point le plus haut de la première strate de l’Ethique (...), la contraposition de la substance et du mode se donne en fait sur un niveau d’une telle absoluité et d’une telle tension que le renversement de l’horizon de la substance sur la surface de la modalité, et vice-versa, est à chaque passage possible », p. 101). C’est donc l’« intrusion » de la physique dans la métaphysique qui assure le renversement de l’horizon philosophique.
[13] Op. cit., p. 113.
[14] Ibidem, p. 126.
[15] Pour la première fois, en effet, « le constructivisme géométrique s’est attaché à la prégnance ontologique de l’a physique spinoziste (...) en dehors de toute influence du vieux déductivisme panthéiste » p. 149). Par ailleurs, rappelons que, pour A. Negri, la dislocation du panthéisme originaire est déterminée par le saut qualitatif qu’induit la méthode géométrique elle-même (cf. chap. III, 1, « l’infinito come principio »).
[16] Op. cit., p. 176-177.
[17] Op. cit., p. 180 ; je souligne.
[18] Op. cit., p. 184.
[19] Op. cit., p. 189.
[20] Ce dont témoigne particulièrement la stricte répétition de l’alternative du Court Traité : « Dieu est la chose », ou « la chose est Dieu » ; d’un côté un horizon idéaliste, de l’autre une potentialité matérialiste. Alternative qu’explorent les deux séries de propositions qui suivent la proposition XIV : « l’Ame peut faire en sorte que toutes les affections du Corps, c’est-à-dire toutes les images des choses se rapportent à l’idée de Dieu. » « Ce qui peut également signifier : 1) la référence à l’idée de Dieu sublime la cupiditas en la plaçant à un niveau de compréhension supérieure du réel ; 2) la référence à l’idée de Dieu absolutise ontologiquement le procès constitutif. » (A. NEGRI, op. cit., p. 205.)
[21] « Cet amour envers Dieu ne peut être gâté ni par une affection d’envie, ni pour une affection de jalousie ; mais il est d’autant plus alimenté que nous imaginons plus d’hommes joints à Dieu par le même lien d’amour. » (Trad. Ch. APPUHN.)
[22] Éthique, V, proposition XXXI : « Le troisième genre de connaissance dépend de l’Âme comme de sa cause formelle, en tant que l’Âme est elle-même éternelle. » Cette réintroduction de la cause formelle est corrélative de la réapparition d’une thématique de l’attribut, en tant que l’attribut est formellement ce que la substance est ontologiquement.
[23] A. NEGRI, op. cit., p. 260 ; je souligne.
[24] A. NEGRI, Marx Oltre Marx, Feltrinelli, 1979. Pour la traduction française, Bourgois, 1980.