« Spinoza et la psychanalyse », sous la dir. d’A. Martins et de P. Séverac

Beaucoup l’ont constaté : il y a un air de famille entre spinozisme et psychanalyse. Même remise en cause des attributs traditionnels de la subjectivité : l’existence du libre arbitre, la transparence de la conscience à elle-même, la possibilité d’un empire sur soi. Même appréhension des phénomènes théologico-politiques, avec l’idée que le faux est une mutilation du vrai, que l’illusion renvoie aux désirs, et qu’il s’agit non de juger moralement mais de comprendre rationnellement. Même valorisation de la dimension affective et pulsionnelle du sujet, avec une centralité du désir ; et peut-être même visée thérapeutique... Les deux grands noms de la psychanalyse -Freud et Lacan - n’ont pas caché leur proximité avec la pensée spinoziste : Freud, même s’il affirme ne pas connaître de près la pensée du philosophe hollandais, avoue travailler dans un « climat » spinoziste ; et Lacan, même s’il finira par le congédier, s’est d’abord identifié avec la figure de Spinoza.

Soit. Mais ces grandes lignes de rapprochement entre psychanalyse freudo-lacanienne et philosophie spinoziste permettent-elles autre chose que de dessiner une vague parenté, dont il serait tout aussi aisé, sinon plus, de souligner les lignes de fracture ? Pour ne pas en rester à ce niveau de généralité, qui n’apprend rien car il confond tout, il est nécessaire d’analyser précisément les notions, les problèmes, les thèses et les textes à travers lesquels la confrontation entre spinozisme et psychanalyse prend sens et devient fructueuse. C’est, nous l’espérons, le défi que tente de relever le présent recueil.

Maxime Rovère interroge pour commencer le sens même de la confrontation entre Spinoza et Lacan, interrogation formulée en ces termes : « pourquoi non, et pourquoi pas » : c’est-à-dire pourquoi une telle confrontation est au fond impossible et pourtant tout à fait bienvenue. C’est à travers cette tension entre possibilité et impossibilité d’une véritable rencontre, que sont analysés les deux projets, spinoziste et lacanien, de conquête de l’agent sur la passion, et de conquête du sujet sur l’inconscient. L’opposition - opposition commune de ces deux pensées à la théorie du sujet substantiel, opposition entre ces deux pensées sur la question du désir - autorise un éclairage réciproque. A travers Lacan, nous voyons mieux quel est le rôle de l’Autre (l’infini, Dieu) comme sujet du désir, et en quel sens la philosophie spinoziste est effort de dépassement de cette fondamentale aliénation ; à travers Spinoza, nous voyons mieux quelle est la puissance du signifiant (le constitué) dans la production du sujet (le constituant) : le constitué n’ayant de sens que pour le constituant, « le signifiant n’est pas autonome, et n’existe que pour quelque chose qui est antérieur au sujet proprement dit : c’est ce que Spinoza appelle le désir ».

Myriam Morvan poursuit cette confrontation entre spinozisme et psychanalyse à partir de l’analyse de deux figures de l’impuissance : « l’admiration » et la « fascination ». L’admiration chez Spinoza est une imagination qui peut certes se combiner à des affects de joie ou de tristesse, mais qui en elle-même n’est pas un affect : elle est une fixation passive sur un objet, proche en cela de la fascination entendue comme captation du moi par un objet. Ferenczi montre qu’une peur intense sous-tend le processus de la fascination, notamment lorsqu’il s’agit de l’enfant, dont l’incapacité réactive le conduit à s’identifier à l’agresseur. La répétition constitue selon Ferenczi une tentative d’amener des événements traumatiques à une plus grande maîtrise psychique, et doit être au centre du travail analytique : celui-ci vise en effet une « défascination » graduelle grâce à une requalification de l’affect dans une expérience qui n’a pas pu avoir lieu en son temps. L’admiration à son tour peut être contrée, selon Spinoza, par une affectivité soit passionnelle (le mépris) soit rationnelle (la Force d’âme). Mais il s’agit pour lui, avant tout, de se donner les moyens d’éviter cet état - ce qui peut se faire, en politique, par une série de dispositifs institutionnels - si bien que, « si le psychanalyste doit guérir, le philosophe cherche à prévenir ».

TABLE DES MATIERES

Préface – Pierre-François Moreau

Présentation – André Martins et Pascal Sévérac

Maxime Rovère – Causalité et signification : la construction d’un sujet libre chez Spinoza et Lacan

Myriam Morvan – Admiration dans le spinozisme et Fascination dans la psychanalyse

André Martins – La philosophie de Spinoza peut-elle enrichir la psychanalyse ?

Adrien Klajnman – Interprétation spinozienne de l’Ecriture et interprétation freudienne du rêve

Isabelle Ledoux – Freud et Spinoza : la question du mal dans les lettres à Blyenbergh

Pascal Sévérac – Spinoza et Freud : les dessous de la jalousie

Monique Schneider – Freud et Spinoza confrontés à la causalité sauvage

Spinoza et la psychanalyse, sous la direction d’André Martins et de Pascal Séverac
Éditeur : Hermann Éditeurs
ISBN : 9782705683412
Date de parution : 2012
Nombre de pages : 200 pages