TRE - 54
Il s’ensuit, que s’il existe un Dieu ou quelque être omniscient, cet être ne peut forger absolument aucune fiction. Pour ce qui nous concerne en effet, sitôt [1] que je sais que j’existe je ne puis forger de fiction touchant mon existence ou ma non-existence ; je ne puis non plus me représenter un éléphant passant parle trou d’une aiguille ; ni, quand je connais [2] la nature de Dieu, me le représenter fictivement comme existant ou n’existant pas ; on doit reconnaître qu’il en est de même touchant la Chimère dont la nature s’oppose à l’existence. D’où appert clairement ce que j’ai dit, à savoir que la fiction, dont nous parlons ici, n’a point lieu au sujet des vérités éternelles [3].
Unde sequitur, si detur aliquis Deus aut omniscium quid, nihil prorsus eum posse fingere. Nam quod ad nos attinet, postquam novi me existere, non possum fingere me existere aut non existere [4] ; nec etiam possum fingere elephantem, qui transeat per acus foramen ; nec possum, postquam naturam Dei novi, fingere eum existentem aut non existentem [5]. Idem intelligendum est de chimaera, cuius natura existere implicat. Ex quibus patet id, quod dixi, scilicet quod fictio, de qua hic loquimur, non contingit circa aeternas veritates. [6]
[1] Comme la vérité, dont il s’agit ici, pourvu qu’on l’entende, se fait connaître elle-même, un exemple suffit sans autre démonstration. De même pour la proposition contradictoire, dont à fausseté apparaît sitôt qu’on l’examine, comme on le verra bientôt quand nous parlerons de la fiction relative à l’essence.
[2] On observera que si beaucoup de gens déclarent douter de l’existence de Dieu, ou bien ils n’en possèdent que le nom ou bien ils forgent une fiction qu’ils appellent Dieu ; ce qui ne s’accorde pas avec la nature de Dieu comme nous le montrerons en son lieu.
[3] Je montrerai bientôt que nulle fiction ne peut avoir trait aux vérités éternelles. Par vérité éternelle j’entends une proposition qui, si elle est affirmative, ne puisse jamais être négative. Ainsi c’est une vérité première et éternelle que Dieu est, ce n’est pas une vérité éternelle qu’Adam pense. La Chimère n’est pas est une vérité éternelle, mais non Adam ne pense pas.
[4] Quia res, modo ea intelligatur, se ipsam manifestat, ideo tantum egemus exemplo sine alia demonstratione. Idemque erit huius contradictoria, quae ut appareat esse falsa, tantum opus recenseri, uti statim apparebit, cum de fictione circa essentiam loquemur. Sp.
[5] Nota, quamvis multi dicant se dubitare, an Deus existat, illos tamen nihil praeter nomen habere, vel aliquid fingere, quod Deum vocant : id quod cum Dei natura non convenit, ut postea suo loco ostendam. Sp.
[6] Statim etiam ostendam, quod nulla fictio versetur circa aeternas veritates. Per aeternam veritatem talem intelligo, quae, si est affirmativa, nunquam poterit esse negativa. Sic prima, et aeterna veritas est, Deum esse, non autem est aeterna veritas, Adamum cogitare. Chimaeram non esse, est aeterna veritas, non autem, Adamum non cogitare. Sp.