TTP - chap.I - §§21-25 : Signification de l’expression « Esprit de Dieu ».
[21] Il faut chercher maintenant ce que l’Écriture Sainte entend par l’Esprit de Dieu descendu dans les Prophètes et, pour faire cette recherche, je me demanderai d’abord ce que signifie le mot hébreu ruagh, que le vulgaire traduit par Esprit.
a. §22 : Esprit.
[22] Le mot ruagh, en son vrai sens signifie vent, comme l’on sait ; mais il s’emploie très souvent dans plusieurs autres significations qui dérivent de celle-là. Il se prend :
1° dans le sens d’haleine, comme dans le psaume CXXXV, v. 17 : et il n’y a point aussi d’esprit dans leur bouche ;
2° de souffle ou respiration, comme dans Samuel (I, chap. XXX, v.12) : et l’esprit lui revint, c’est-à-dire il respira. Il se prend :
3° pour courage et force, comme dans Josué (chap. II, v.11) : l’esprit ne demeura plus ensuite en aucun homme. De même dans Ézéchiel (chap. II, v. 2) : un esprit (c’est-à-dire une force) est venu en moi qui m’a fait me dresser sur mes pieds.
4° De ce sens est venu celui de vertu et aptitude, comme dans Job (chap. XXXII, v. 8) : certes l’Esprit même est dans l’homme, c’est-à-dire la science ne doit pas être cherchée uniquement chez les vieillards, car je trouve maintenant qu’elle dépend de la vertu et de la capacité particulière de chaque homme. De même dans les Nombres (chap. XXIX, v. 18) : l’homme en qui est l’Esprit. Le mot se prend ensuite :
5° pour sentiment intime comme dans les Nombres (chap. XIV, v. 24) : parce qu’il eut un autre Esprit, c’est-à-dire un autre sentiment intime ou une autre pensée. De même dans les Proverbes (chap. I, v. 23) : je vous dirai mon Esprit (c’est-à-dire ma pensée). Et dans ce cas il s’emploie pour signifier la volonté, c’est-à-dire le décret, l’appétit et le mouvement de l’âme ; ainsi dans Ézéchiel (chap. I, v. 12) : où leur esprit était d’aller, ils allaient. De même dans Isaïe (chap. XXX, v.1) : et pour mêler une mixtion et non par mon esprit. Et chap. XXIX, v. 10 : parce que Dieu répandit sur eux l’Esprit (c’est-à-dire l’appétit) de dormir. Et dans les Juges (chap. VIII, v. 3) : alors s’adoucit leur Esprit, c’est-à-dire le mouvement de leur âme. De même dans les Proverbes (chap. VI, v. 33) qui domine sur son Esprit (c’est-à-dire son appétit) que qui prend une ville , et encore (chap. XXV, v. 28) : un homme qui ne contraint pas son esprit. Et dans Isaïe (chap. XXXIII, v. 11) : votre esprit est un feu qui vous consume. En outre ce mot ruagh, en tant qu’il signifie âme, sert à exprimer toutes les passions de l’âme et même les dons ; ainsi un Esprit élevé pour signifier l’orgueil, un Esprit bas pour signifier l’humilité, un Esprit de jalousie, un Esprit (ou appétit) de fornication, un Esprit de sagesse, de prudence, de courage, c’est-à-dire (car les Hébreux usent plus souvent de substantifs que d’adjectifs) une âme sage, prudente, courageuse, un Esprit de bienveillance, etc. Le même mot signifie :
6° la pensée elle-même ou l’âme, comme dans l’Ecclésiaste (chap. III, v. 19) : tous ont un même Esprit (ou une même âme), et chap. XII, v. 7 : et l’Esprit retourne à Dieu. Enfin il signifie : 7° les régions du monde à cause des vents qui en soufflent, et aussi les côtés d’une chose quelconque qui regardent ces régions du monde (voir Ézéchiel, chap. XXVII, v. 9, et chap. XLII, v. 16, 17, 18, 19, etc.).
b. §§23-24 : Dieu.
[23] Il faut noter maintenant qu’une chose est rapportée à Dieu, et qu’on dit qu’elle est de lui :
1° parce qu’elle appartient à sa nature et est comme une partie de Dieu, comme quand on dit la puissance de Dieu, les yeux de Dieu ;
2° parce qu’elle est au pouvoir de Dieu et agit, selon son geste ; ainsi, dans l’Écriture Sacrée, les cieux sont appelés cieux de Dieu, parce qu’ils sont le char et le domicile de Dieu ; l’Assyrie est dite le fouet de Dieu et Nabuchodonosor le serviteur de Dieu, etc. ;
3° parce qu’elle est dédiée à Dieu, comme le temple de Dieu, le Nazaréen de Dieu, le pain de Dieu ;
4° parce qu’elle a été transmise par les Prophètes et non révélée par la Lumière naturelle : c’est ainsi que la Loi de Moïse est appelée Loi de Dieu ;
5° pour exprimer une chose au degré superlatif : par exemple des montagnes de Dieu, c’est-à-dire très élevées ; un sommeil de Dieu, c’est-à-dire très profond, et c’est en ce sens qu’il faut expliquer Amos (chap. IV, v.11) où Dieu lui-même parle ainsi : je vous ai détruits comme la destruction de Dieu (renversa) Sodome et Gomorrhe, c’est-à-dire cette mémorable destruction ; nulle autre explication ne peut être admise, puisque c’est Dieu lui-même qui parle. De même la science naturelle de Salomon est appelée science de Dieu, c’est-à-dire divine ou au-dessus du commun. Dans les Psaumes aussi, des cèdres sont dits cèdres de Dieu, pour exprimer leur grandeur inaccoutumée, et dans Samuel (I, chap. XI, v. 7), pour signifier une crainte extrêmement grande, on dit : et une crainte de Dieu tomba sur le peuple. En ce sens tout ce qui dépassait la faculté de comprendre des Juifs et dont ils ignoraient en ce temps les causes naturelles, ils avaient accoutumé de le rapporter à Dieu. Ainsi la tempête est dite une parole de colère de Dieu ; le tonnerre et la foudre sont les flèches de Dieu ; ils croyaient en effet que Dieu tient les vents enfermés dans des cavernes qu’ils appelaient la chambre du trésor de Dieu, leur opinion différant de celle des Gentils en ce qu’ils faisaient non d’Éole, mais de Dieu, le maître des vents. Pour cette même raison ils appellent les miracles des œuvres de Dieu, c’est-à-dire produisant la stupeur. Car certes toutes les choses naturelles sont des œuvres de Dieu, et c’est le pouvoir de Dieu qui les a fait être et agir. En ce sens donc le Psalmiste appelle les miracles d’Égypte des puissances de Dieu, parce que, dans un extrême péril, ils ouvraient aux Hébreux une voie de salut tout à fait inespérée, excitant au plus haut point leur admiration.
[24] Puis donc que les œuvres insolites de la Nature sont dites œuvres de Dieu et les arbres d’une grandeur inaccoutumée, arbres de Dieu, il n’y a pas à s’étonner le moins du monde que, dans la Genèse, les hommes très forts et d’une haute stature soient appelés fils de Dieu, même quand ils sont des brigands et des débauchés impies. D’une manière générale tout ce en quoi un homme dépassait les autres, les anciens avaient accoutumé de le rapporter à Dieu, non seulement les Juifs, mais les Gentils ; Pharaon par exemple, quand il entendit l’interprétation de son songe, dit que la pensée des Dieux était en Joseph, et Nabuchodonosor aussi dit à Daniel que la pensée des Dieux saints était en lui. Bien de plus fréquent, même chez les Latins : ce qui est fait le main d’ouvrier, ils le disent fabriqué par une main divine, et si l’on voulait traduire cette expression en hébreu, il faudrait dire fabriqué par la main de Dieu, comme le savent les hébraïsants.
c. §25 : Esprit de Dieu.
[25] Par là s’expliquent et s’entendent facilement les passages de l’Écriture où il est fait mention de l’Esprit de Dieu. Ainsi l’Esprit de Dieu, l’Esprit de Jéhovah, dans certains passages, ne signifie rien de plus qu’un vent très violent, très sec et funeste comme dans Isaïe (chap. XL, v. 7) : le vent de Jéhovah souffla sur lui, c’est-à-dire un vent très sec et funeste. Et dans la Genèse (chap. I, v. 2) : et le vent de Dieu (c’est-à-dire un vent très violent) se mouvait sur les eaux.
Ensuite, la même expression signifie grand cœur : le cœur de Gédéon et celui de Samson sont appelés, dans l’Écriture Sacrée, Esprit de Dieu, c’est-à-dire très audacieux et prêts à tout. De même aussi toute vertu ou force au-dessus du commun est dite Esprit ou vertu de Dieu, comme dans l’Exode (chap. XXXI, v. 3) , et je le remplirai (Béséléel) de l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire (l’Écriture elle-même l’explique) d’un génie et d’un art au-dessus du commun. De même dans Isaïe (chap. II, v. 2) : et l’Esprit de Dieu reposera sur lui, c’est-à-dire, comme l’explique plus loin le Prophète lui-même, suivant une coutume très répandue dans l’Écriture Sainte, la vertu de la sagesse, de la prudence, du courage, etc. La mélancolie de Saül aussi est dite mauvais Esprit de Dieu, c’est-à-dire une mélancolie très profonde ; les esclaves de Saül en effet, qui appelaient sa mélancolie, mélancolie de Dieu, l’engagèrent à appeler auprès de lui un musicien pour le récréer en jouant de la flûte, ce qui montre qu’ils entendaient par mélancolie de Dieu une mélancolie naturelle.
Par Esprit de Dieu est ensuite désignée l’âme même de l’homme comme dans Job (chap. XXVII, v. 3) : Et l’Esprit de Dieu dans mes narines, allusion à ce qui se trouve dans la Genèse, que Dieu a gonflé d’un souffle de vie les narines de l’homme. De même Ézéchiel prophétisant aux morts dit (chap. XXXII, v. 14) : Et je vous donnerai mon Esprit et vous ressusciterez, c’est-à-dire je vous donnerai une vie nouvelle. En ce sens il est dit dans Job (chap. XXXIV, v. 34) : s’il veut (si Dieu veut) il retirera à lui son Esprit (c’est-à-dire l’âme qu’il nous a donnée) et son souffle. Il faut interpréter de même la Genèse (chap. VI, v. 3) : Mon Esprit ne raisonnera jamais plus (ou ne discernera plus) dans l’homme parce qu’il est chair ; c’est-à-dire dorénavant l’homme agira selon les décisions de la chair et non de l’âme que je lui ai donnée pour qu’il discernât le bien. Pareillement dans le psaume XXI, vs. 12 et 13 : Crée-moi un cœur pur, mon Dieu, et renouvelle en moi un Esprit de décence (c’est-à-dire un appétit modéré), ne me rejette pas de devant ta face et ne m’ôte point l’âme de ta Sainteté. On croyait en effet que les péchés ont dans la chair leur unique origine, tandis que l’âme conseille seulement le bien. Le Psalmiste invoque donc le secours de Dieu contre l’appétit charnel et prie seulement pour que l’âme à lui donnée par ce Dieu saint soit conservée par Dieu.
Maintenant, comme l’Écriture a coutume de représenter Dieu à l’image de l’homme, à cause de la faiblesse d’esprit du vulgaire, et de lui attribuer une âme, une sensibilité et des passions, voire un corps et une haleine, Esprit de Dieu s’emploie souvent pour âme, c’est-à-dire cœur, passion, force et haleine de la bouche de Dieu. Ainsi Isaïe (chap. XL, v. 13) demande qui a disposé l’Esprit de Dieu (c’est-à-dire son âme), autrement dit quel autre que Dieu détermine l’âme de Dieu à vouloir une chose. Et (chap. LXIII, v. 10) : et ils ont affecté d’amertume et de tristesse l’Esprit de sa Sainteté. De là vient qu’Esprit de Dieu s’emploie pour Loi de Moïse, parce que cette Loi exprime en quelque sorte l’âme de Dieu ; ainsi dans Isaïe (même chap., v. 11) : où est (celui) qui a mis au milieu d’eux l’Esprit de Sainteté, savoir la Loi de Moïse comme il ressort clairement de tout le contexte ; de même Néhémie (chap. IX, v. 20) : et tu pourras donner ton bon Esprit (c’est-à-dire ton âme) pour les rendre capables de connaissance ; il parle en effet du temps de la Loi et fait allusion aussi à cette parole du Deutéronome (chap. IV, v. 6) où Moïse dit : parce qu’elle (la Loi) est votre science et votre sagesse, etc. Pareillement dans le psaume CXLIII, v. 10 : ton Esprit me conduira dans la plaine, c’est-à-dire ton âme à nous révélée me conduira dans la voie droite.
Esprit de Dieu signifie aussi, comme nous l’avons dit, haleine de Dieu, une haleine attribuée improprement à Dieu dans l’Écriture, comme lui est attribuée une âme, une sensibilité et un corps, par exemple dans le psaume XXXIII, v. 6. Puis il signifie le pouvoir de Dieu, la force ou vertu de Dieu comme dans Job (chap. XXXIII, v. 4) : l’Esprit de Dieu m’a fait, c’est-à-dire sa vertu et son pouvoir ou, si l’on préfère, son décret ; le Psalmiste parlant poétiquement dit aussi : les cieux ont été créés par l’ordre de Dieu et par l’Esprit (c’est-à-dire le souffle) de sa bouche (c’est-à-dire par décret prononcé comme par un souffle) a été créée toute leur armée. De même dans le psaume CXXXIX, v. 7 : et où irai-je (pour être) hors de ton Esprit, et où fuirai-je (pour être) hors de ta face ? c’est-à-dire (comme on voit clairement par l’amplification qui vient à la suite dans le psaume) : où puis-je aller pour être hors de ta puissance et de ta présence ?
Enfin Esprit de Dieu s’emploie dans l’Écriture sacrée pour exprimer les affections de l’âme divine, savoir la bénignité et la miséricorde : comme dans Michée (chap. II, v. 7) : l’Esprit de Dieu (c’est-à-dire la miséricorde divine) s’est-il rétréci ? Ces choses (Funestes) sont-elles ses œuvres ? De même dans Zacharie (chap. IV, v. 6) : non par une armée ni par la violence, mais par mon Esprit seulement, c’est-à-dire ma seule miséricorde. C’est dans ce sens que je crois devoir entendre le verset 12, chap. VII, de ce même Prophète : et ils ont rendu leur cœur astucieux pour ne pas obéir à la Loi et aux commandements que Dieu leur envoya de son Esprit (c’est-à-dire sa miséricorde) par les premiers Prophètes. Dans ce même sens, Aggée dit aussi (chap. IX, v. 5) : et mon Esprit (c’est-à-dire ma grâce) demeure parmi vous, n’ayez crainte.
Quant au passage d’Isaïe (chap. XLVIII, v. 16) : et maintenant m’a envoyé le Seigneur Dieu et son Esprit, on peut entendre ou bien le cœur et la miséricorde de Dieu ou encore son âme révélée dans la Loi ; car il dit : dès le commencement (c’est-à-dire la première fois que je suis venu auprès de vous pour vous prêcher la colère de Dieu et la sentence prononcée contre vous), je n’ai pas parlé en secret ; au temps même qu’elle a été (prononcée), j’ai été présent (ainsi qu’il l’a attesté au chapitre VII) ; mais maintenant je suis un messager de joie et envoyé par la miséricorde de Dieu pour chanter votre restauration. On peut aussi, comme je l’ai dit, entendre l’âme de Dieu révélée dans la Loi, ce qui voudrait dire qu’il est venu les avertir suivant l’ordre de la Loi telle qu’elle est énoncée dans le Lévitique (chap. XIX, v. 17). Il les avertirait donc dans les mêmes conditions et de la même manière que Moïse avait accoutumé. Enfin, comme Moïse, il terminerait en leur prédisant leur restauration. La première explication toutefois me semble mieux convenir.