TTP - chap. XI - §8-10 : Différences entre les Apôtres quant à leur façon d’enseigner, à leur conception des fondements de la religion, et quant à leur public.



[8] Il ne suit cependant pas assez clairement de ce qui précède que les Apôtres aient pu choisir pour enseigner la voie par eux jugée la meilleure, mais seulement que leur apostolat leur conférait la qualité de Docteurs en même temps que celle de Prophètes ; nous pourrions il est vrai faire ici appel à la Raison ; certes d’après elle celui qui a l’autorité d’enseigner, a aussi celle de choisir la voie qu’il veut. Il sera préférable cependant de le démontrer par l’Écriture seule ; il est établi clairement en effet par les textes que chacun des Apôtres a choisi sa voie personnelle ; ainsi dans l’Épître aux Romains (chap. XV, v. 20), Paul nous dit : j’avais un soin inquiet de ne pas prêcher où le nom du Christ est invoqué, pour ne pas bâtir sur un fondement étranger. Certes si tous avaient suivi la même voie pour enseigner et avaient tous bâti la religion du Christ sur le même fondement, Paul n’aurait pu à aucun égard appeler fondement étranger le fondement d’un autre Apôtre, puisque tous auraient eu le même. Mais il l’appelle fondement étranger, d’où il faut nécessairement conclure que chacun édifiait la Religion sur un fondement différent et que les Apôtres, quand ils faisaient office de Docteurs, étaient dans la même situation que les autres Docteurs qui ont chacun une méthode personnelle ; aussi préfèrent-ils enseigner ceux qui sont encore dans une complète ignorance et n’ont commencé d’apprendre d’aucun autre les langues ou les sciences, même les mathématiques dont la vérité n’est douteuse pour personne.

[9] En second lieu, si nous lisons les Épîtres avec quelque attention, nous verrons que les Apôtres, d’accord sur la Religion même, différaient grandement sur ses fondements. Paul, pour confirmer les hommes dans la Religion et leur montrer que le salut dépend de la seule grâce de Dieu, enseigna que nul ne peut se glorifier de ses œuvres, mais de sa foi seulement et que nul n’est justifié par ses œuvres (voir Épître aux Romains, chap. III, vs. 27, 28), et il fait suivre de là toute sa doctrine de la prédestination. Jacques au contraire, dans son Épître, enseigne que l’homme est justifié par ses œuvres, non par la foi seulement (voir Épître de Jacques, chap. II, v. 24), et il fait tenir dans ce peu de principes toute la doctrine de la Religion, laissant de côté toutes les discussions de Paul.

[10] Il n’est pas douteux enfin que cette diversité des fondements sur lesquels les Apôtres ont édifié la Religion n’ait été l’origine de beaucoup de controverses et de schismes. L’Église n’a cessé d’en souffrir depuis le temps des Apôtres ; et sans doute en souffrira éternellement jusqu’au jour où la Religion sera enfin séparée des spéculations philosophiques et ramenée à un très petit nombre de dogmes très simples que le Christ a enseignés comme étant les siens ; les Apôtres n’ont pu s’y tenir parce que l’Évangile était ignoré des hommes. Pour que la nouveauté de la doctrine ne blessât pas grandement les oreilles des hommes, ils l’ont donc adaptée autant qu’il était possible, à la complexion des hommes de leur temps (voir première Épître aux Corinthiens, chap. IX, vs. 19, 20, etc.) et ils l’ont édifiée sur les fondements les plus connus et admis à cette époque. C’est pourquoi aucun des Apôtres n’a philosophé autant que Paul appelé à prêcher aux nations. Les autres au contraire qui prêchaient aux Juifs, contempteurs de la Philosophie, s’adaptèrent à la compréhension des Juifs (voir sur ce point Épître aux Galates, chap. II, v. 11, etc.) et enseignèrent la religion toute nue sans spéculations philosophiques. Heureux notre âge en vérité si nous la pouvions voir affranchie aussi de toute superstition.