Traité politique, II, §11



La faculté de juger peut être soumise à la volonté d’un autre dans la mesure où l’âme peut être trompée par cet autre ; d’où suit que l’âme s’appartient à elle-même dans la mesure où elle peut user droitement de la raison. Bien plus, comme il faut mesurer la puissance de l’homme moins à la vigueur du corps qu’à la force de l’âme, ceux-là s’appartiennent à eux-mêmes au plus haut point qui l’emportent par la raison et vivent le plus sous sa conduite. Et ainsi j’appelle libre un homme dans la mesure où il vit sous la conduite de la raison, parce que, dans cette mesure même, il est déterminé à agir par des causes pouvant être connues adéquatement par sa seule nature, encore que ces causes le déterminent nécessairement à agir. La liberté en effet, comme nous l’avons montré (dans le § 7 de ce chapitre), ne supprime pas, mais pose au contraire la nécessité de l’action.


Traduction Saisset :

La faculté qu’a l’âme de porter des jugements peut aussi tomber sous le droit d’autrui, en tant qu’un homme peut être trompé par un autre homme. D’où il suit que l’âme n’est entièrement sa maîtresse que lorsqu’elle est capable d’user de la droite raison. Il y a plus, comme la puissance humaine ne doit pas tant se mesurer à la vigueur du corps qu’à la force de l’âme, il en résulte que ceux-là s’appartiennent le plus à eux-mêmes qui possèdent au plus haut degré la raison et sont le plus conduits par elle. Et par conséquent je dis que l’homme est parfaitement libre en tant qu’il est conduit par la raison ; car alors il est déterminé à agir en vertu de causes qui s’expliquent d’une façon adéquate par sa seule nature, bien que d’ailleurs ces causes le déterminent nécessairement. La liberté, en effet, (comme je l’ai montré à l’article 7 du présent chapitre), la liberté n’ôte pas la nécessité d’agir, elle la pose.


Iudicandi facultas eatenus etiam alterius iuris esset potest, quatenus mens potest ab altero decipi. Ex quo sequitur, mentem eatenus sui iuris omnino esse, quatenus recte uti potest ratione. Imo quia humana potentia non tam ex corporis robore, quam ex mentis fortitudine aestimanda est ; hinc sequitur, illos maxime sui iuris esse, qui maxime ratione pollent, quique maxime eadem ducuntur. Atque adeo hominem eatenus liberum omnino voco, quatenus ratione ducitur, quia eatenus ex causis, quae per solam eius naturam possunt adaequate intelligi, ad agendum determinatur, tametsi ex iis necessario ad agendum determinetur. Nam libertas (ut art. 7. huius cap. ostendimus) agendi necessitatem non tollit, sed ponit.