Traité politique, VIII, §04
Puisque cependant ce pouvoir détenu par une aristocratie ne fait jamais retour (ainsi que je viens de le montrer) à la masse du peuple, et qu’il n’y a jamais à le consulter, mais que toute volonté absolument de l’Assemblée a force de loi, il doit être considéré comme absolu et en conséquence il a ses fondements dans la seule volonté, le seul jugement de l’Assemblée, non dans la vigilance de la masse de la population puisqu’elle ne pénètre pas dans les conseils et n’est pas appelée à voter. La raison qui fait qu’en pratique le pouvoir n’est pas absolu, c’est donc que la masse de la population reste redoutable aux détenteurs du pouvoir ; elle conserve en conséquence une certaine liberté qui n’a pas d’expression légale, mais qui n’en est pas moins tacitement revendiquée et maintenue.
Traduction Saisset :
Toutefois, en tant que le pouvoir dans un État aristocratique ne revient jamais à la multitude (ainsi qu’il a été expliqué plus haut) et que la multitude n’y a pas voix délibérative, toute volonté du corps des patriciens étant le droit, le gouvernement aristocratique doit être considéré comme entièrement absolu, et quand il s’agit d’en poser les bases, il faut s’appuyer uniquement sur la volonté et le jugement de l’Assemblée des patriciens, et non pas sur la vigilance de la multitude, puisque celle-ci n’a ni voix consultative, ni droit de suffrage. Ce qui fait que dans la pratique ce gouvernement n’est pas absolu, c’est que la multitude est un objet de crainte pour les gouvernants et qu’à cause de cela même elle obtient quelque liberté, non par une loi expresse, mais par une secrète et effective revendication.
Attamen quatenus hoc imperium aristocraticum nunquam (ut modo ostensum) ad multitudinem redit, nec ulla in eo multitudini consultatio, sed absolute omnis eiusdem concilii voluntas ius est, debet omnino ut absolutum considerari, et consequenter eius fundamenta sola eiusdem concilii voluntate et iudicio niti debent, non autem multitudinis vigilantia, quandoquidem ipsa tam a consiliis, quam suffragiis ferendis arcetur. Causa igitur, cur in praxi imperium absolutum non sit, nulla alia esse potest, quam quia multitudo imperantibus formidolosa est, quae propterea aliquam sibi libertatem obtinet, quam, si non expressa lege, tacite tamem sibi vendicat obtinetque.