Contre la pratique scolastique qui s’autorise de la vérité révélée, Descartes met en jeu une raison qui n’aurait d’autre certitude
que la vérité établie à partir de ses propres principes. Pourtant,
malgré cette entame offensive, sa philosophie s’emploie encore
une fois à montrer la dépendance de la raison humaine à l’égard
de la perfection divine et, partant, à fonder un sujet de la science
qui serait compatible avec le maintien de la théologie. Cette déférence envers l’instance divine chagrine Stendhal et motive sa
remarque ironique sur cet homme partout célébré comme le héros
de la raison moderne : « Descartes commence par tout révoquer
en doute pour raisonner en moine cinq mètres plus loin », tel est
son verdict sur la passe d’armes cartésienne.

Cet ouvrage explore ce qui s’est joué au cours de ces cinq
mètres, partant de l’errance qu’amorce l’exercice du doute, s’intéressant à ce qui fait dévier la pensée cartésienne de sa conclusion
quant à la réalité d’une substance raisonnable entièrement distincte
du corps. L’errance provient de l’exercice même des méditations
et se prolonge, voire s’aggrave dans la correspondance du philosophe, notamment dans l’échange avec la princesse Elisabeth de
Bohême. L’audace épistolaire qui les anime tous deux incite
Descartes à infléchir son cheminement, à affranchir une nouvelle
fois sa curiosité des procédures dans lesquelles il l’a fixée : il se
déprend du principe systématique pour se mettre au contact de ce
qui, dans la pensée, est étranger à l’ordre des raisons.


Voyez L’article de Y. Ichida sur cet ouvrage : Descartes politique : Molloy dans la forêt.