EIII - Proposition 35 - scolie
Cette Haine envers une chose aimée jointe à l’Envie s’appelle Jalousie, et ainsi la Jalousie n’est rien d’autre qu’une fluctuation de l’âme née de ce qu’il y a Amour et Haine en même temps avec accompagnement de l’idée d’un autre auquel on porte envie. De plus, cette Haine envers la chose aimée est plus grande à proportion de la Joie dont le Jaloux avait accoutumé d’être affecté par l’Amour que lui rendait la chose aimée, et à proportion aussi du sentiment dont il était affecté à l’égard de celui qu’il imagine que la chose aimée se joint. Car, s’il le haïssait, par cela même (Prop. 24), il aura en haine la chose aimée, puisqu’il l’imagine affectant de Joie ce qui lui est odieux ; et aussi (Coroll. de la Prop. 15) parce qu’il est obligé de joindre l’image de la chose aimée à l’image de celui qu’il hait. Cette dernière raison se trouve généralement dans l’Amour qu’on a pour une femme ; qui imagine en effet la femme qu’il aime se livrant à un autre sera contristé, non seulement parce que son propre appétit est réduit, mais aussi parce qu’il est obligé de joindre l’image de la chose aimée aux parties honteuses et aux excrétions de l’autre, il l’a en aversion ; à quoi s’ajoute enfin que le Jaloux n’est pas accueilli par la chose aimée du même visage qu’elle avait accoutumé de lui présenter, et que pour cette cause aussi un amant est contristé, comme je vais le montrer. [*]
Hoc odium erga rem amatam invidiæ junctum zelotypia vocatur, quæ proinde nihil aliud est quam animi fluctuatio orta ex amore et odio simul concomitante idea alterius cui invidetur. Præterea hoc odium erga rem amatam majus erit pro ratione lætitiæ qua zelotypus ex reciproco rei amatæ amore solebat affici et etiam pro ratione affectus quo erga illum quem sibi rem amatam jungere imaginatur, affectus erat. Nam si eum oderat, eo ipso rem amatam (per propositionem 24 hujus) odio habebit quia ipsam id quod ipse odio habet, lætitia afficere imaginatur et etiam (per corollarium propositionis 15 hujus) ex eo quod rei amatæ imaginem imagini ejus quem odit, jungere cogitur, quæ ratio plerumque locum habet in amore erga fæminam ; qui enim imaginatur mulierem quam amat alteri sese prostituere, non solum ex eo quod ipsius appetitus coercetur, contristabitur sed etiam quia rei amatæ imaginem pudendis et excrementis alterius jungere cogitur, eandem aversatur ; ad quod denique accedit quod zelotypus non eodem vultu quem res amata ei præbere solebat, ab eadem excipiatur, qua etiam de causa amans contristatur, ut jam ostendam.
[*] (Saisset :) Cette haine pour l’objet aimé, jointe à l’envie, se nomme jalousie, laquelle est donc la fluctuation intérieure, née de l’amour et tout ensemble de la haine, accompagnés de l’idée de l’objet que nous envions. Cette même haine pour l’objet aimé sera plus grande en raison de la joie que procurait au jaloux l’amour réciproque de l’objet aimé, et en raison aussi de la nature du sentiment que le jaloux avait éprouvé jusqu’alors pour son rival. En effet, s’il avait pour lui de la haine, il en concevra aussi pour l’objet aimé, par cela seul qu’il procure de la joie à celui qu’il hait (par la Propos. 24), et par cela aussi qu’il est forcé de joindre l’image de l’objet aimé à l’image de celui qu’il hait (par le Corollaire de la Propos. 15). C’est ce qui se rencontre le plus souvent dans l’amour qu’inspirent les femmes ; car celui qui se représente que la femme qu’il aime se prostitue à un autre est saisi de tristesse, non parce que son appétit trouve un obstacle ; mais parce qu’il est forcé de joindre à l’image de l’objet aimé celle des parties honteuses et des excréments de son rival, il conçoit de l’aversion pour l’objet aimé ; joignez à cela que le jaloux n’est pas reçu de l’objet aimé du même visage que d’habitude, nouvelle cause de tristesse pour l’amant, comme je le montrerai tout à l’heure.