EIII - Proposition 52
Si nous avons déjà vu un objet en même temps que d’autres, ou si nous imaginons qu’il n’a rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le considérerons pas aussi longtemps que celui que nous imaginons qui a quelque chose de singulier.
DÉMONSTRATION
Sitôt que nous imaginons un objet que nous avons vu avec d’autres, il nous souvient aussi des autres (Prop. 18, p. II, voir aussi le Scolie), et ainsi de la considération de l’un nous tombons aussitôt dans la considération d’un autre. Et telle est aussi la condition d’un objet si nous imaginons qu’il n’a rien qui ne soit commun à plusieurs. Nous supposons par cela même en effet que nous ne considérons rien en lui, que nous n’ayons vu auparavant conjointement à d’autres. Mais, quand nous supposons que nous imaginons dans un objet quelque chose de singulier, que nous n’avons jamais vu auparavant, nous ne disons rien d’autre sinon que l’Âme, pendant qu’elle considère cet objet, n’a rien en elle dans la considération de quoi la considération de cet objet puisse la faire tomber ; et ainsi elle est déterminée à le considérer uniquement. Donc si un objet, etc. C.Q.F.D. [*]
Objectum quod simul cum aliis antea vidimus vel quod nihil habere imaginamur nisi quod commune est pluribus, non tamdiu contemplabimur ac illud quod aliquid singulare habere imaginamur.
DEMONSTRATIO :
Simulatque objectum quod cum aliis vidimus, imaginamur, statim et aliorum recordamur (per propositionem 18 partis II, cujus etiam scholium vide) et sic ex unius contemplatione statim in contemplationem alterius incidimus. Atque eadem est ratio objecti quod nihil habere imaginamur nisi quod commune est pluribus. Nam eo ipso supponimus nos nihil in eo contemplari quod antea cum aliis non viderimus. Verum cum supponimus nos in objecto aliquo aliquid singulare quod antea nunquam vidimus, imaginari, nihil aliud dicimus quam quod mens dum illud objectum contemplatur, nullum aliud in se habeat in cujus contemplationem ex contemplatione illius incidere potest atque adeo ad illud solum contemplandum determinata est. Ergo objectum etc. Q.E.D.
[*] (Saisset :) Tout objet que nous avons déjà vu avec d’autres objets, ou en qui nous n’imaginons rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le contemplerons pas aussi longtemps que celui en qui nous imaginons quelque chose de singulier. Démonstration En même temps que nous nous représentons un objet que nous avons déjà vu avec d’autres objets, nous nous rappelons ceux-ci (par la Propos. 18, partie 2, et son Scol.), et de cette façon, de la contemplation du premier objet nous allons aussitôt à celle des autres. Il en est de même d’un objet en qui nous n’imaginons rien qui ne soit commun à plusieurs. Car, par hypothèse, nous n’apercevons rien en lui que nous n’ayons déjà vu dans les autres. Au contraire, quand on suppose que nous imaginons en un certain objet quelque chose que nous n’avons point vu auparavant, c’est comme si l’on disait que l’âme, tant qu’elle contemple cet objet, n’a en elle-même aucun autre objet qui la puisse faire aller de la contemplation du premier à une autre contemplation ; et en conséquence, elle est déterminée à contempler ce premier objet d’une manière exclusive. Donc, tout objet, etc. C. Q. F. D.