EIV - Proposition 71 - scolie


La reconnaissance qu’ont entre eux les hommes dirigés par le Désir aveugle, est la plupart du temps plutôt un trafic ou une piperie que de la reconnaissance. Pour l’ingratitude, elle n’est pas une affection. Elle est cependant vilaine, parce qu’elle indique le plus souvent qu’un homme est affecté d’une haine excessive, de Colère, d’Orgueil ou d’Avarice, etc. Celui en effet qui, par sottise, ne sait pas rendre l’équivalent des dons qu’il a reçus n’est pas un ingrat ; encore bien moins celui de qui les dons d’une courtisane ne font pas l’instrument docile de sa lubricité, ceux d’un voleur un recéleur de ses larcins, ou sur qui les dons d’une autre personne semblable [n’ont pas l’effet qu’elle en attend]. Au contraire, on fait preuve de constance d’âme en ne se laissant pas séduire par des dons corrupteurs à sa propre perte ou à la perte commune. [*]


Gratia quam homines qui cæca cupiditate ducuntur, invicem habent, mercatura seu aucupium potius quam gratia plerumque est. Porro ingratitudo affectus non est. Est tamen ingratitudo turpis quia plerumque hominem nimio odio, ira vel superbia vel avaritia etc. affectum esse indicat. Nam qui præ stultitia dona compensare nescit, ingratus non est et multo minus ille qui donis non movetur meretricis ut ipsius libidini inserviat nec furis ut ipsius furta celet vel alterius similis. Nam hic contra animum habere constantem ostendit qui scilicet se nullis donis ad suam vel communem perniciem patitur corrumpi.

[*(Saisset :) La reconnaissance qu’ont les uns pour les autres les hommes qu’un désir aveugle conduit est plutôt un marché ou une fourberie qu’une reconnaissance véritable. L’ingratitude n’est point une passion, et cependant elle est honteuse, parce qu’elle est le fait d’un homme anime de sentiments de haine, de colère, ou d’orgueil, d’avarice, etc. Car je n’appelle pas ingrat un homme qui par sottise ne sait pas rendre les bienfaits qu’il a reçus, et moins encore celui que les dons d’une courtisane ne peuvent décider à satisfaire sa passion, ou qui ne consent point à recevoir les présents d’un voleur pour l’aider à cacher son vol. Un tel homme, au contraire, montre une âme ferme, puisque aucun don ne peut le corrompre et le faire consentir à sa perte ou à celle d’autrui.