EV - Proposition 5


Une affection à l’égard d’une chose que nous imaginons simplement et non comme nécessaire ni comme possible ou comme contingente est, toutes choses égales, la plus grande qui soit.

DÉMONSTRATION

Une affection à l’égard d’une chose que nous imaginons qui est libre, est plus grande qu’à l’égard d’une chose nécessaire (Prop. 49, p. III) et en conséquence encore plus grande qu’à l’égard de celle que nous imaginons comme possible ou contingente (Prop. 11, p. IV). Mais imaginer une chose comme libre ne peut rien être d’autre qu’imaginer une chose simplement, tandis que nous ignorons les causes par où elle a été déterminée à produire quelque effet (en vertu de ce que nous avons montré dans le Scolie de la Prop. 35, p. II) ; donc une affection à l’égard d’une chose que nous imaginons simplement, est plus grande, toutes choses égales, qu’à l’égard d’une chose nécessaire, possible ou contingente, et conséquemment elle est la plus grande qui soit. C.Q.F.D. [*]


Affectus erga rem quam simpliciter et non ut necessariam neque ut possibilem neque ut contingentem imaginamur, cæteris paribus omnium est maximus.

DEMONSTRATIO :

Affectus erga rem quam liberam esse imaginamur, major est quam erga necessariam (per propositionem 49 partis III) et consequenter adhuc major quam erga illam quam ut possibilem vel contingentem imaginamur (per propositionem 11 partis IV). At rem aliquam ut liberam imaginari nihil aliud esse potest quam quod rem simpliciter imaginamur dum causas a quibus ipsa ad agendum determinata fuit, ignoramus (per illa quæ in scholio propositionis 35 partis II ostendimus) ; ergo affectus erga rem quam simpliciter imaginamur, cæteris paribus major est quam erga necessariam, possibilem vel contingentem et consequenter maximus. Q.E.D.

[*(Saisset :) De toutes les passions qu’un objet nous peut faire éprouver, la plus forte, toutes choses égales d’ailleurs, est celle que nous ressentons pour un objet que nous imaginons purement et simplement sans nous le représenter comme nécessaire, ou comme possible, ou comme contingent. Démonstration Notre passion pour un être que nous nous représentons comme libre est plus forte que pour un être nécessaire (par la Propos. 49, part. 3), et par conséquent elle est plus forte encore que pour un être que nous imaginons comme possible ou comme contingent (par la Propos. 11, part. 4). Or, qu’est-ce qu’imaginer un être libre ? c’est imaginer cet être purement et simplement, dans l’ignorance des causes qui l’ont déterminé à agir (par le Scol. de la propos. 35, part. 2). Donc notre passion pour un objet que nous imaginons purement et simplement est toujours plus forte, toutes choses égales d’ailleurs, que si nous l’imaginions comme nécessaire, possible ou contingent ; et par conséquent cette passion est la plus forte de toutes. C. Q. F. D.