Lettre 15 - Spinoza à Louis Meyer (3 août 1663)



à Monsieur Louis Meyer,
B. De Spinoza envoie ses salutations.

Mon excellent ami,

Voici la préface que vous m’avez fait tenir par notre ami de Vries, je vous la renvoie par le même intermédiaire.

J’ai mis en marge quelques notes, mais il y a encore quelques observations qu’il m’a paru préférable de vous communiquer par lettre :

1° A la page 4 vous faites connaître au lecteur à quelle occasion j’ai composé la première partie ; je voudrais qu’en ce même endroit ou ailleurs, comme il vous plaira, vous l’avertissiez en outre que ce travail a été fait en deux semaines. Ainsi prévenu, nul ne pensera que mon exposé soit donné comme si clair qu’on ne puisse en éclaircir davantage le contenu, et de la sorte on ne se laissera pas arrêter par un ou deux mots qui pourraient paraître obscurs.

2° Je voudrais que vous fissiez observer que beaucoup de propositions sont démontrées par moi autrement qu’elles ne le sont par Descartes, non que j’aie voulu corriger Descartes, mais seulement pour mieux conserver l’ordre que j’ai adopté et ne pas augmenter en conséquence le nombre des axiomes. Pour la même raison, j’ai dû démontrer beaucoup de propositions simplement énoncées sans démonstration par Descartes et ajouter des choses omises par lui. Enfin je vous prie très instamment, mon très cher ami, de renoncer à ce que vous avez écrit à la fin contre ce pauvre individu et de l’effacer en conséquence. Bien que d’ailleurs j’aie plusieurs raisons de vous le demander, je me contenterai de vous en donner une seule : je voudrais que l’on se persuadât partout sans difficulté que je publie cet écrit dans l’intérêt de tous, et que vous-même en l’éditant êtes mû par le seul désir de répandre la vérité, qu’en conséquence vous avez de votre mieux fait en sorte de rendre ce petit ouvrage agréable à tous, d’inviter les hommes, avec bienveillance et douceur, à l’étude de la philosophie et n’avez eu d’autre but que l’intérêt commun. On le croira sans peine quand on verra qu’il n’y a d’attaque dirigée contre personne ni rien qui puisse être jugé offensant le moins du monde pour qui que ce soit. Que si cependant cet individu, ou bien un autre, voulait plus tard montrer sa malveillance, alors vous pourrez dépeindre sa vie et ses oeuvres et l’on vous approuvera. Je vous demande donc de bien vouloir attendre jusque-là, et en même temps que de vous rendre à mon désir, de me croire de tout cœur votre

B. De Spinoza.

Voorburg, le 3 août 1663.

Notre ami de Vries avait promis d’emporter cette lettre, mais, ne sachant quand il retournera auprès de vous, je vous l’envoie par un autre. Je vous envoie en même temps une partie du scolie de la proposition 27, partie II, dont la place est au commencement de la page 15, pour que vous la remettiez à l’imprimeur et qu’elle soit imprimée. Les mots que je joins doivent de toute nécessité être imprimés et ajoutés à la règle 14 ou 15, insertion qui ne présente pas de difficulté.