Lettre 27 - Spinoza à Blyenbergh (3 juin 1665)



à Monsieur Guillaume de Blyenbergh,
B. de Spinoza.

RÉPONSE A LA LETTRE XXIV

Monsieur et ami,

Quand votre lettre du 27 mars m’a été remise, j’étais sur le point de partir pour Amsterdam. Je l’ai donc laissée chez moi, en ayant lu la moitié seulement, pour y répondre à mon retour : je croyais n’y trouver en effet que des questions se rapportant à notre première discussion. Mais plus tard j’ai vu qu’il s’agissait de bien autre chose que de la seule confirmation des propositions énoncées par moi dans la Préface des Principes de Descartes démontrés géométriquement, à seule fin d’indiquer au lecteur, quel qu’il fût, quelle était mon opinion sans prétendre à l’établir et à la faire admettre par tous. Votre demande d’éclaircissement porte sur une grande partie de l’Éthique, laquelle a, on le sait, son fondement dans la métaphysique et la physique. Pour cette raison je n’ai pu me déterminer à vous donner satisfaction ; j’ai voulu attendre une occasion de vous prier ouvertement et très amicalement de renoncer à votre demande, en même temps que je vous expliquerais mon refus, et enfin vous montrerais que vos questions n’ont rien à voir avec la solution des difficultés que vous m’opposiez dans notre première discussion : au contraire, c’est de cette solution qu’elles dépendent en grande partie. Tant s’en faut donc que mon opinion concernant la nécessité ne puisse être perçue avant que réponse ait été donnée à vos questions. Ce sont ces questions au contraire qui ne peuvent être comprises avant qu’on l’ait bien entendue. L’occasion attendue ne s’était pas encore présentée quand, cette semaine, j’ai reçu de vous une nouvelle lettre laissant paraître quelque mécontentement causé par mon retard. Je me vois donc dans l’obligation de vous écrire quelques mots pour vous faire connaître mon intention et ma décision. J’espère qu’après y avoir réfléchi, vous renoncerez à votre demande et resterez néanmoins bien disposé pour moi. Pour ma part je me montrerai toujours votre dévoué

B. DE SPINOZA.
Voorburg, le 3 juin 1665.