Lettre 26 - Spinoza à Oldenburg
à Monsieur Henri Oldenburg,
B. de Spinoza.
Mon excellent ami,
Il y a quelques jours un ami me disait qu’un libraire d’Amsterdam lui avait remis votre lettre du 28 avril, apportée sans aucun doute par M. Ser. J’ai été très heureux d’apprendre enfin de vous-même que vous étiez en bonne santé et que vous me conserviez votre amitié. Pour moi, toutes les fois que j’en ai eu l’occasion, je n’ai jamais manqué de m’informer de votre état auprès de M. Ser. et de Christian Huygens, seigneur de Zeelhem, qui m’avait dit vous connaître aussi. Par le même Huygens j’ai appris que le très savant Boyle était en vie et avait publié en anglais un traité remarquable sur les couleurs. Huygens me l’aurait donné à lire si je savais l’anglais. Je me réjouis donc de savoir par vous que ce traité, en même temps qu’un autre sur le froid et les thermomètres, dont j’ignorais l’existence, avaient reçu leur naturalisation latine et étaient mis à la disposition du public. Le livre sur les observations au microscope, Huygens le possède également, mais, si je ne me trompe, il est en anglais. Huygens m’a raconté des choses étonnantes sur ces microscopes et aussi sur des télescopes de fabrication italienne au moyen desquels on a pu observer des éclipses causées dans Jupiter par l’interposition de ses satellites et aussi une ombre qui semble projetée sur Saturne par un anneau. Je n’ai pu à cette occasion m’étonner assez de la précipitation de Descartes : il dit que si les planètes voisines de Saturne ne se déplacent pas (il a cru que les anses étaient des planètes, peut-être parce qu’il n’a jamais observé qu’elles fussent en contact avec Saturne), cette immobilité pouvait résulter de ce que Saturne ne tourne pas autour d’un axe qui lui soit propre et cependant, outre que cette explication s’accorde peu avec ses principes, il aurait pu très facilement avec leur aide donner l’explication des anses, s’il n’avait été dominé par un préjugé, etc.