Lettre 81 - Spinoza à Tschirnhaus (5 mai 1676)



Au très noble et très savant
Ehrenfried Walther von Tschirnhaus,

RÉPONSE A LA PRÉCÉDENTE

Monsieur,

Ce que j’ai dit dans ma lettre sur l’Infini [1], à savoir qu’on ne conclut pas de la multitude des parties qu’il y en ait une infinité, résulte manifestement de ce que, si l’infinité se concluait de la multitude des parties, nous ne pourrions en concevoir une multitude plus grande, leur multitude devant être plus grande que toute multitude donnée. Or cela est faux, car, dans l’espace total compris entre deux cercles ayant des centres différents, nous concevons une multitude de parties deux fois plus grandes que dans la moitié de cet espace, et cependant le nombre des parties aussi bien de la moitié que de l’espace total est plus grand que tout nombre assignable.

De l’étendue maintenant telle que la conçoit Descartes, c’est-à-dire comme une masse au repos, il n’est pas seulement difficile, ainsi que vous le dites, mais complètement impossible de tirer par démonstration l’existence des corps. La matière au repos, en effet, persévérera dans son repos autant qu’il est en elle et ne sera mise en mouvement que par une cause extérieure plus puissante. Pour cette raison je n’ai pas craint d’affirmer jadis que les principes des choses de la nature admis par Descartes sont inutiles, pour ne pas dire absurdes.

La Haye, le 5 mai 1676.