Lettre 83 - Spinoza à Tschirnhaus (15 juillet 1676)
Au très noble et très savant
Ehrenfried Walther von Tschirnhaus,
B. de Spinoza.
Monsieur,
Pour ce que vous demandez, à savoir si la variété des choses peut-être établie a priori en partant de la seule idée de l’étendue, je crois avoir déjà assez clairement montré que c’est impossible. C’est pourquoi je pense que la définition donnée par Descartes de la matière qu’il ramène à l’étendue, est mauvaise, et que l’explication doit être nécessairement cherchée dans un attribut qui exprime une essence éternelle et infinie. Mais je vous parlerai de cela plus clairement peut-être quelque jour, si assez de vie m’est donné, car jusqu’ici il m’a été impossible de rien disposer avec ordre sur ce sujet.
Quant à ce que vous dites que de la définition d’une chose considérée en elle-même on ne peut déduire qu’une seule propriété, peut-être cela s’applique-t-il aux choses les plus simples ou aux êtres de raison (auxquels je ramène les figures), mais cela ne s’applique pas aux choses réelles. De cela seul, en effet, que je définis Dieu un Être à l’essence duquel appartient l’existence, je conclus plusieurs propriétés de Dieu : qu’il existe nécessairement, qu’il est immuable, infini, etc., et je pourrais donner plusieurs autres exemples de même sorte que je laisse de côté pour le moment. Je vous prie enfin de vous informer si le Traité de M. Huet (contre le Traité théologico-politique) dont vous m’avez parlé antérieurement, a vu le jour et si vous pouvez m’envoyer un exemplaire. Je vous demanderai encore si vous savez quelle est cette découverte récemment faite concernant la réfraction. Adieu, Monsieur, continuez à avoir pour moi de l’amitié.
Votre B. DE SPINOZA.
La Haye, le 15 juillet 1676.