TTP - Chap. XIII - §§8-9 : La seule connaissance que Dieu exige de tous est celle de sa Justice et de sa Charité.
[8] Il est temps maintenant de passer au second point c’est-à-dire de montrer que Dieu n’exige des hommes, par les Prophètes, d’autre connaissance de lui-même que celle de sa Justice et de sa Charité divines, c’est-à-dire des attributs qui sont tels que les hommes les puissent imiter en suivant une certaine règle de vie. C’est ce qu’enseigne Jérémie dans les termes les plus exprès. Parlant du Roi Josias, il dit (chap. XXII, v.15, 16) : certes ton Père a bu et mangé, il a fait droit et justice, alors la prospérité a été son partage ; il a jugé le droit du pauvre et de l’indigent, alors la prospérité a été son partage ; car (remarquez bien ceci) c’est cela me connaître, a dit Jéhovah. Non moins clair ce passage du chapitre IX, Verset 23 : mais que chacun se glorifie seulement de m’entendre et me connaître en ce que moi Jehovah je fais qu’il y ait sur la terre charité, droit et justice, car ce sont là mes délices. Cela ressort aussi de l’Exode (chap. XXXIV, v. 6,7) où, à Moïse qui désire le voir et le connaître, Dieu ne révèle d’autres attributs que ceux qui manifestent la Justice et la Charité divines. Et enfin ce passage de Jean, duquel nous reparlerons, est à noter ici en premier : nul, en effet, n’ayant vu Dieu, Jean explique Dieu par la Charité seule et conclut que celui-là possède Dieu en vérité et le connaît, qui a la charité. Nous voyons donc que pour Jérémie, Moïse et Jean, la connaissance de Dieu à laquelle tous sont tenus, comprend un très petit nombre d’attributs consistant, comme nous le voulions, en ce que Dieu est souverainement juste et souverainement miséricordieux, autrement dit qu’il est un modèle unique de vie vraie. A cela s’ajoute que l’Écriture ne donne expressément aucune définition de Dieu, qu’elle ne prescrit de saisir d’autres attributs que ceux que nous venons de dire, et n’en recommande explicitement pas d’autres. De tout cela nous concluons que la connaissance intellectuelle de Dieu, qui considère sa Nature telle qu’elle est en soi, nature que les hommes ne peuvent imiter en suivant une certaine règle de vie, qu’on ne peut prendre comme modèle pour l’institution de la vraie règle de vie, que cette connaissance, disons-nous, n’appartient en rien à la foi et à la religion révélée et qu’en conséquence les hommes peuvent, à cet égard, errer sans crime de toute l’étendue du ciel.
[9] Rien de surprenant, dès lors, à ce que Dieu se soit adapté aux imaginations et aux opinions préconçues des Prophètes, à ce que les fidèles aient embrassé avec ardeur des manières de voir diverses sur Dieu, comme nous l’avons montré par beaucoup d’exemples au chapitre II. Rien de surprenant non plus à ce que les livres sacrés parlent de Dieu si improprement, lui attribuent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles, le fassent se déplacer dans l’espace, lui prêtent aussi des mouvements de l’âme, tels que jalousie, miséricorde, etc., et enfin le dépeignent comme un Juge, comme siégeant dans les cieux sur un trône royal avec le Christ à sa droite. Ils parlent en effet suivant la compréhension du vulgaire que l’Écriture tâche à rendre non pas docte, mais obéissant. Les Théologiens en général, quand ils ont pu voir, par la Lumière Naturelle, que tel de ces caractères attribués à Dieu ne convenait pas avec la nature divine, ont prétendu qu’il fallait admettre une interprétation métaphorique et qu’on doit accepter au contraire à la lettre tout ce qui passe leur compréhension. Mais si tous les passages de cette sorte qui se trouvent dans l’Écriture devaient être interprétés et entendus comme des métaphores, l’Écriture n’eût pas été écrite pour la foule et le vulgaire ignorant, elle eût été destinée aux plus habiles seulement et surtout aux Philosophes. Bien mieux, s’il y avait impiété à avoir sur Dieu, pieusement et d’une âme simple, ces croyances que nous avons rapportées tout à l’heure, certes les Prophètes auraient dû se garder avec le plus grand soin, au moins à cause de la faiblesse d’esprit du vulgaire, de phrases semblables, et au contraire donner sur les attributs de Dieu tels que chacun était tenu de les concevoir, des enseignements clairs et exprès, ce qu’ils n’ont fait nulle part. Il ne faut donc pas croire le moins du monde que les opinions, considérées en elles-mêmes, sans avoir égard aux œuvres, aient rien de pieux ou d’impie ; nous ne dirons qu’une croyance humaine est pieuse ou impie, qu’autant que celui qui la professe est mû par ses opinions à l’obéissance ou qu’au contraire il en tire licence de péché et de rébellion ; qui donc, croyant le vrai, est rebelle, sa foi est en réalité impie, et qui au contraire, croyant le faux, obéit, sa foi est pieuse. Car nous avons montré que la vraie connaissance de Dieu n’est point un commandement mais un don divin, et que Dieu n’a demandé aux hommes d’autre connaissance que celle de sa Justice et de sa Charité ; connaissance requise non pour les sciences, mais seulement pour l’obéissance.