TTP - Chap. XIV - §§10-11 : Les sept dogmes de la foi universelle.




[10] Je ne craindrai pas maintenant d’énumérer les dogmes de la Foi universelle, c’est-à-dire les croyances fondamentales que l’Écriture universelle a pour objet d’établir. Ces dogmes (ainsi qu’il résulte très évidemment de ce chapitre et du précédent) doivent tous tendre à ce seul principe : il existe un Être suprême qui aime la Justice et la Charité, auquel tous pour être sauvés sont tenus d’obéir et qu’ils doivent adorer en pratiquant la Justice et la Charité envers le prochain. Partant de là, nous les déterminons tous aisément et il n’en existe pas d’autres que les suivants :
Il existe un Dieu, c’est-à-dire un être suprême, souverainement bon et miséricordieux, en d’autres termes un modèle de vie vraie : qui ne le connaît pas, en effet, ou ne croit pas à son existence, ne peut lui obéir ou le reconnaître comme Juge ;
Dieu est unique : il le faut absolument, personne n’en peut douter, pour qu’il soit un objet suprême de dévotion, d’admiration et d’amour. Car la dévotion, l’admiration et l’amour naissent de la seule excellence de l’être qui seul est au-dessus de tous ;
il est partout présent, ou encore il voit tout. Si l’on croyait qu’il y a pour lui des choses cachées, et si l’on ignorait qu’il voit tout, on douterait de l’équité de sa Justice qui dirige tout ;
il a sur toutes choses droit et pouvoir suprême et ne fait rien par obligation légale, mais par bon plaisir absolu et grâce singulière. Tous, en effet, sont tenus de lui obéir et lui n’obéit à personne ;
le culte de Dieu et l’obéissance à Dieu consistent dans la seule Justice et la Charité, c’est-à-dire dans l’amour du prochain ;
tous ceux qui, suivant cette règle de vie, obéissent à Dieu, sont sauvés et ils sont seuls à l’être, les autres qui vivent sous l’empire des voluptés sont perdus. Si les hommes ne croyaient point cela fermement, nulle cause ne pourrait faire qu’ils aimassent mieux obéir à Dieu qu’aux voluptés ;
7° enfin Dieu pardonne leurs péchés aux repentants. Nul en effet qui ne pèche ; si donc on n’admettait point cela, tous désespéreraient de leur salut et n’auraient aucune raison de croire à la miséricorde divine. Celui qui croit cela fermement : que dans sa miséricorde et par sa grâce, souveraine régulatrice, Dieu pardonne les péchés des hommes, et qui, pour cette cause, est plus brûlant d’amour pour Dieu, celui-là connaît vraiment le Christ selon l’Esprit et le Christ est en lui.

[11] Et nul ne peut ignorer que ce sont là les choses nécessaires à connaître avant tout pour que les hommes, sans aucune exception, puissent obéir à Dieu suivant la prescription de la Loi que nous avons expliquée ci-dessus ; que l’on rejette, en effet, l’une de ces croyances, l’obéissance à Dieu est rejetée. Quant à savoir ce qu’est Dieu, c’est-à-dire le modèle de la vie vraie, s’il est feu, esprit, lumière, pensée, etc., cela ne touche en rien à la Foi ; et de même en quel sens il est un modèle de vie vraie, si c’est parce qu’il a une âme juste et miséricordieuse ou parce que toutes choses sont et agissent par lui et que, conséquemment, nous aussi connaissons par lui, et par lui seul voyons, ce qui est vrai, juste et bon. Quoique chacun de nous ait cru devoir poser à ce sujet, c’est tout un. En second lieu, il est indifférent à la Foi que l’on croie que Dieu est partout en vertu de son essence ou en vertu de sa puissance ; qu’il dirige les choses librement ou par une nécessité de nature ; qu’il prescrit des lois à la façon d’un prince ou les enseigne comme des vérités éternelles ; que l’homme obéit à Dieu par une libre décision ou par la nécessité du décret divin et enfin que la récompense des bons et la punition des méchants est naturelle ou surnaturelle. Ces questions et les autres semblables, dis-je, en quelle manière que chacun les éclaircisse, cela n’importe en rien eu égard à la Foi ; pourvu seulement qu’on n’ait pas en vue dans ses conclusions de se donner une liberté plus grande de pécher ou de se rendre moins obéissant à Dieu. Il y a plus, chacun est tenu, nous l’avons dit plus haut, d’adapter ces dogmes de la Foi à sa compréhension propre, et de s’en donner à soi-même l’interprétation qui pourra lui en rendre plus aisée l’acceptation, non pas hésitante, mais pleine et sans réserve, afin que son obéissance à Dieu vienne aussi d’une âme pleinement consentante. Car, nous l’avons déjà indiqué, de même que jadis la Foi a été révélée et écrite suivant la compréhension et les opinions des Prophètes et du vulgaire de leur temps, de même aussi chacun est tenu de l’adapter à ses opinions afin de pouvoir y adhérer sans nulle résistance de sa pensée et sans nulle hésitation : la Foi, nous le répétons, n’exige pas tant la vérité que la piété et elle n’est pieuse et productrice de salut qu’à proportion de l’obéissance ; nul n’est donc un fidèle qu’à proportion de son obéissance. Ce n’est donc pas celui qui expose les meilleures raisons, en qui se voit la foi la meilleure, c’est celui qui expose les meilleures œuvres de Justice et de Charité. Combien salutaire et nécessaire est cette doctrine dans l’État, si l’on veut que les hommes vivent dans la paix et la concorde, combien de causes, et quelles causes de troubles et de crimes elle retranche, je laisse à tous le soin d’en juger.