TTP - Chap. XIV - §§4-9 : Définition de la foi.



[5] Pour traiter donc ce sujet avec ordre, je commencerai par la définition de la Foi ; en vertu du fondement posé, elle doit se définir comme consistant seulement à attribuer à Dieu par la pensée des caractères tels que l’ignorance de ces caractères doive entraîner la destruction de l’obéissance, et que, l’obéissance étant posée, ces caractères soient nécessairement posés ; définition si claire et qui découle si manifestement des démonstrations précédentes qu’elle n’a besoin d’aucune explication.

[6] Je vais montrer maintenant brièvement ce qui en suit :
1° la Foi est productrice de salut non par elle-même, mais eu égard seulement à l’obéissance, ou, comme le dit Jacques (chap. II, v. 17), la foi sans les œuvres est morte ; voir sur ce point tout ce chapitre de cet Apôtre ;

[7] 2° en conséquence, qui est vraiment obéissant, possède nécessairement la vraie foi, celle dont le salut est le fruit ; car posée l’obéissance, nous avons dit que la foi était posée ; c’est aussi ce que dit expressément le même Apôtre (chap. II, v.18) : montre-moi ta foi sans les œuvres et je te montrerai ma foi par mes œuvres. Et Jean (Épître I, chap. IV, vs. 7 et 8) : quiconque aime (son prochain) est né de Dieu et connaît Dieu ; qui ne l’aime pas, ne connaît pas Dieu, car Dieu est charité. De là nous conclurons encore une fois que nul ne doit être jugé fidèle ou infidèle sinon par ses œuvres. Si ses œuvres sont bonnes, bien qu’il s’écarte par ses dogmes des autres fidèles, il est cependant un fidèle ; si elles sont mauvaises au contraire, bien qu’en paroles il s’accorde avec eux, il est un infidèle. Car posée l’obéissance, la foi est posée nécessairement et la foi sans les œuvres est morte. C’est ce qu’enseigne expressément Jean au verset 13 de ce même chapitre : Par ceci, dit-il, nous connaissons, que nous demeurons en lui et qu’il demeure en nous : qu’il nous a donné de son Esprit, c’est-à-dire la charité. Car il avait dit auparavant que Dieu est charité, d’où il conclut (j’entends des principes qu’il a admis) que celui-là possède vraiment l’Esprit de Dieu qui a la Charité. Et même, de ce que personne n’a vu Dieu, il conclut que nul ne sent ou n’aperçoit Dieu sinon par la Charité envers le prochain, et qu’ainsi nul ne peut connaître d’autre attribut de Dieu que cette Charité même en tant que nous y avons part. Ces raisons, si elles ne sont pas péremptoires, expliquent toutefois assez clairement la pensée de Jean ; bien plus clairement encore ce passage du chapitre II, versets 3, 4, de la même Épître où il enseigne dans les termes les plus exprès ce que nous voulons prouver. Et par ceci, dit-il, nous savons que nous le connaissons : si nous observons ses préceptes. Qui dit : je le connais, et n’observe pas ses préceptes, il est menteur et la vérité n’est pas en lui. De là nous concluons de nouveau qu’il est en réalité Antichrétien, celui qui persécute des hommes de vie honnête et amis de la Justice parce que leur opinion s’écarte de la sienne et qu’ils ne s’attachent pas aux mêmes dogmes ou articles de foi. Car nous savons qu’aimer la Justice et la Charité suffit pour qu’on soit un fidèle, et persécuter les fidèles c’est être Antichrétien.

[8] Il suit enfin que la Foi requiert moins des dogmes vrais que des dogmes pieux, c’est-à-dire capables de mouvoir l’âme à l’obéissance, encore bien qu’il en soit beaucoup parmi eux qui n’ont pas l’ombre de vérité ; pourvu cependant qu’en s’y attachant on en ignore la fausseté, sans quoi il y aurait nécessairement rébellion. Comment pourrait-il se faire en effet qu’un homme qui s’applique à aimer la Justice et à obéir à Dieu, adore comme divine une chose qu’il sait être étrangère à la nature de Dieu ? Mais les hommes peuvent errer par simplicité d’âme, et l’Écriture, comme nous l’avons montré, ne condamne pas l’ignorance, elle condamne l’insoumission ; cela découle même nécessairement de la seule définition de la Foi, puisqu’elle doit être cherchée tout entière, à moins que nous ne voulions y mêler les décisions qui nous agréent, dans le fondement universel ci-dessus démontré et dans l’unique objet que se propose l’Écriture. Cette foi donc n’exige pas expressément des dogmes vrais, mais des dogmes tels qu’ils engendrent nécessairement l’obéissance ; c’est-à-dire qu’ils confirment l’âme dans l’amour du prochain, car c’est seulement en proportion de cet amour que chacun est en Dieu (pour parler comme Jean) et que Dieu est en chacun.


[9] Puis donc qu’il faut, pour apprécier la piété ou l’impiété d’une foi, avoir égard seulement à l’obéissance ou à l’insoumission de celui qui la professe, non à la vérité ou à la fausseté de la foi elle-même, comme d’autre part il est hors de doute que la complexion commune des hommes est extrêmement diverse, que tous ne trouvent pas le repos dans les mêmes idées, mais qu’au contraire des opinions différentes les gouvernent, celles qui portent l’un à la dévotion excitant l’autre au rire et au mépris, nous devons conclure que la Foi catholique ou universelle ne comprend pas de dogmes au sujet desquels il puisse y avoir controverse entre des hommes honnêtes. Les dogmes sujets à controverse en effet peuvent être pieux quand on les considère dans une âme, impies dans une autre, puisqu’il en faut juger par les œuvres seules. Appartiennent à la Foi universelle ceux-là seuls qui posent absolument l’obéissance envers Dieu et dans l’ignorance desquels l’obéissance est absolument impossible ; à l’égard des autres dogmes, à chacun, parce qu’il se connaît le mieux, de penser comme il verra qu’il vaut le mieux pour se confirmer dans l’amour de la Justice. Par cette règle je pense ne laisser aux controverses aucune place dans l’Église.