TTP - Chap. XVI - §§12-18 : Divers concepts juridiques.



[12] Après avoir ainsi montré les fondements et le droit de l’État, il sera facile de déterminer ce qu’est le droit civil privé, et ce qu’est une violation du droit, en quoi la justice et l’injustice consistent dans l’état de société constituée ; puis ce que c’est qu’un confédéré, qu’un ennemi et enfin que le crime de lèse-majesté.

A - Droit Civil privé.

[13] Par Droit Civil privé nous ne pouvons entendre autre chose que la liberté qu’a l’individu de se conserver dans son état, telle qu’elle est déterminée par les édits du pouvoir souverain et maintenue par sa seule autorité. Après en effet que l’individu a transféré à un autre son droit de vivre selon son bon plaisir propre, c’est-à-dire sa liberté et sa puissance de se maintenir, droit qui n’avait d’autres limites que son pouvoir, il est tenu de vivre suivant la règle de cet autre et de ne se maintenir que par sa protection.

B - Violation du Droit.

[14] Il y a Violation du droit quand un citoyen ou un sujet est contraint par un autre à souffrir quelque dommage contrairement au droit civil, c’est-à-dire à l’édit du souverain. La violation du droit en effet ne se peut concevoir que dans l’état de société réglée ; mais le souverain auquel par droit tout est permis, ne peut violer le droit des sujets ; donc seulement entre particuliers, tenus par le droit à ne pas se léser l’un l’autre, il peut y avoir place pour une violation du droit.

C - Justice, Injustice.

[15] La justice est une disposition constante de l’âme à attribuer à chacun ce qui d’après le droit civil lui revient ; l’Injustice en revanche consiste, sous une apparence de droit, à enlever à quelqu’un ce qui lui appartient suivant l’interprétation véritable des lois. On appelle aussi la Justice et l’Injustice, Équité et Iniquité, parce que les magistrats institués pour mettre fin aux litiges sont tenus de n’avoir aucun égard aux personnes, mais de les tenir toutes pour égales et de maintenir également le droit de chacun ; de ne pas porter envie au riche ni mépris au pauvre.

D - Les Confédérés.

[16] Des Confédérés sont des hommes de deux cités qui, pour ne pas être exposés au péril d’une guerre ou pour quelque autre raison d’utilité s’engagent par contrat à ne pas se faire de mal les uns aux autres, mais au contraire à s’assister en cas de besoin, chacune des deux cités continuant de former un État propre. Ce contrat aura force aussi longtemps que son fondement, c’est-à-dire la considération du danger ou de l’utilité subsistera, car nul ne contracte et n’est tenu d’observer un pacte que par espoir de quelque bien ou crainte de quelque mal ; si ce fondement n’est plus, le pacte aussi a cessé d’être, l’expérience même le montre assez. Alors que, en effet, des États indépendants s’engagent par contrat à ne pas se causer de dommage l’un à l’autre, ils s’efforcent néanmoins, autant qu’ils peuvent, d’empêcher que l’un d’eux n’acquière une puissance plus grande, et n’ont pas foi aux paroles échangées, s’ils n’aperçoivent assez clairement la raison d’être et l’utilité pour l’un et l’autre du contrat. Autrement dit, ils craignent la fourberie, non sans raison ; qui donc se reposera sur les paroles et les promesses d’un autre, alors que cet autre conserve sa souveraineté et le droit de faire ce qui lui plaira et que sa loi suprême est la salut et l’utilité de l’État où il commande, qui, sinon un insensé ignorant le droit des souverains ? Et si, en outre, nous avons égard à la piété et à la religion, nous verrons que personne ne peut sans crime tenir ses promesses au détriment de l’État où il commande ; toute, promesse qu’il a faite en effet et qui se trouve par chance dommageable à l’État, il ne peut la tenir qu’en manquant à la foi due à ses sujets, laquelle cependant l’oblige par-dessus tout et qu’on a coutume de promettre solennellement de garder.

E - L’Ennemi.

[17] Poursuivant, je dirai que l’Ennemi est celui qui vit hors de la cité et ne reconnaît, ni en qualité de confédéré, ni en qualité de sujet, le gouvernement qu’elle a institué. Ce n’est pas la haine en effet qui confère la qualité d’ennemi de l’État, c’est le droit qu’a la cité contre lui, et à l’égard de celui qui ne reconnaît l’État constitué par elle par aucune sorte de contrat, la cité a le même droit qu’à l’égard de celui qui lui a causé un dommage : elle pourra donc à bon droit, par tout moyen à sa portée, le contraindre à se soumettre ou à s’allier à elle.

F - Lèse-majesté.

[18] Enfin le crime de lèse-majesté n’est possible qu’à des sujets ou à des citoyens qui, par un pacte tacite ou exprès, ont transféré la totalité de leur droit à la cité ; et l’on dit qu’un sujet a commis ce crime, quand il a tenté de ravir pour une raison quelconque, ou de transférer à un autre, le droit du souverain. Je dis quand il a tenté ; car si la condamnation devait suivre la commission du crime, la cité la plupart du temps s’efforcerait trop tard de condamner, le droit étant déjà ravi ou transféré, à un autre. Je dis ensuite absolument celui qui pour une raison quelconque a tenté de ravir le droit du souverain ; qu’un dommage doive s’ensuivre en effet pour l’État ou au contraire qu’il doive en recevoir le plus clair accroissement, cela ne fait à mes yeux aucune différence. Quelle que soit la raison de sa tentative, il y a eu lèse-majesté et il est condamné à bon droit. Tout le monde reconnaît bien en temps de guerre que cette condamnation est prononcée à très bon droit : qu’un soldat en effet ne reste pas à son poste, qu’à l’insu du chef il marche à l’ennemi, son plan d’attaque a beau avoir été bon, encore est-il sien, il a beau avoir mis l’ennemi en fuite, il n’en en est pas moins justement condamné à mort pour avoir violé son serment et le droit du chef. Tous ne voient pas aussi clairement, en revanche, que tous les citoyens absolument sont toujours tenus par ce droit ; le principe est cependant tout à fait le même. Puisque, en effet, l’État doit se conserver et se diriger par le seul conseil du souverain et que, par un pacte liant absolument sujets ou citoyens, ce droit appartient au seul souverain, si un individu, de sa propre décision et à l’insu du conseil souverain, a entrepris l’exécution d’une affaire publique, quand bien même un accroissement certain en résulterait pour la cité, il a cependant violé le droit du souverain, a lésé la majesté et mérité une condamnation.