TTP - chap.2 - §§3-6 : La certitude propre aux Prophètes.



[3] Comme la simple imagination n’enveloppe pas de sa nature la certitude, ainsi que le fait toute idée claire et distincte, mais qu’il faut nécessairement, pour qu’on puisse être certain, qu’à l’imagination s’ajoute quelque chose qui est le raisonnement, on voit que la Prophétie par elle-même ne pouvait pas envelopper la certitude, puisqu’elle dépendait, comme nous l’avons montré, de la seule imagination. Les Prophètes donc n’étaient pas certains de la révélation de Dieu par la révélation elle-même, mais par quelque signe : cela se voit clans Abraham (voir Genèse, ch. XIV, v. 8) qui demanda un signe après avoir entendu la promesse de Dieu ; il avait foi en Dieu et ne demandait pas un signe qui le fît croire en Dieu, mais qui lui fît savoir que Dieu lui avait fait telle promesse. Cela est encore mieux établi par ce que dit à Dieu Gédéon : et fais-moi un signe (pour que je sache) que c’est toi qui as parlé (voir Juges, chap. VI, v. 17). A Moïse aussi Dieu dit : et que ceci (soit) pour toi un signe que je t’ai envoyé. Ézéchias qui savait depuis longtemps qu’Isaïe était Prophète, demanda un signe de la Prophétie prédisant son retour à la santé. Cela montre que les Prophètes ont toujours eu quelque signe leur donnant la certitude des choses qu’ils imaginaient par le don prophétique et, pour cette raison, Moïse avertit les Juifs (voir Deutéronome, chap. XVIII, dernier verset) qu’ils aient à demander au Prophète un signe, à savoir l’issue de quelque affaire à venir. La Prophétie, est donc inférieure a cet égard. à la connaissance naturelle qui n’a besoin d’aucun signe, mais enveloppe de sa nature la certitude. Et, en effet, cette certitude prophétique n’était pas une certitude mathématique, mais seulement une certitude morale. Cela est établi par l’Écriture elle-même ; dans le Deutéronome (chap. XIII), Moïse pose ce principe, en effet, que si quelque Prophète veut enseigner des Dieux nouveaux, alors même que sa doctrine serait confirmée par des signes et des miracles, il doit être condamné à mort ; car, ajoute Moïse, Dieu lui-même fait des signes et des miracles pour tenter le peuple ; et le Christ aussi donna le même avertissement à ses Disciples comme il est établi par Matthieu (chap. XXIV, v. 24.). Bien mieux, Ézéchiel enseigne clairement (chap. XIV, v. 9) que Dieu trompe parfois les hommes par de fausses révélations ; il dit, en effet : et quand un Prophète (un faux Prophète) se sera laissé induire en erreur et aura dit une parole, c’est que moi, le Seigneur, je l’ai induit en erreur. Michée (voir Rois, I, chap. XXII, v. 21) rend le même témoignage au sujet des Prophètes d’Achab.

[4] Et bien que cela semble montrer que Prophétie et Révélation est une chose fort douteuse, elle avait cependant, comme nous l’avons dit, beaucoup de certitude. Car Dieu ne déçoit jamais les pieux et les élus, mais, conformément au proverbe ancien (voir Samuel, chap. XXIV, v. 14), et comme on le voit par l’histoire d’Abigaïl et son discours, Dieu se sert des hommes pieux comme instruments de sa piété et des impies comme exécuteurs et moyens de sa colère. Cela est établi aussi très clairement par ce qui arriva à Michée que nous venons de citer : quand Dieu en effet eut décidé de tromper Achab par des Prophètes, il ne se servit pour cela que de faux Prophètes, et révéla la chose comme elle était à l’homme pieux sans lui faire défense de prédire la vérité. Comme je l’ai dit cependant, la certitude du Prophète était seulement morale, parce que nul ne peut se justifier devant Dieu et se vanter d’être l’instrument de la piété de Dieu : l’Écriture l’enseigne et la chose est claire de soi ; David, dont la piété est, maintes fois attestée par l’Écriture, ne fut-il pas séduit par la colère de Dieu à dénombrer le peuple ?

[5] Toute la certitude prophétique reposait donc sur ces trois fondements :
1° ils imaginaient les choses révélées très vivement, comme nous avons accoutumé de faire quand, pendant la veille, nous sommes affectés par des objets ;
2° le signe ;
3° et principalement leur cœur n’avait d’inclination que pour le juste et le bon.
Ajoutons que si l’Écriture ne fait pas toujours mention du signe, il faut croire cependant que les Prophètes en ont toujours eu un : l’Écriture en effet, (beaucoup l’ont déjà noté) n’a pas l’habitude d’énoncer dans le récit toutes les conditions et circonstances, mais de supposer plutôt les choses déjà connues. On peut accorder en outre que les Prophètes qui ne prophétisaient rien de nouveau, mais seulement ce qui est contenu dans la Loi de Moïse, n’ont pas eu besoin de signe, parce qu’ils trouvaient dans la Loi la confirmation de leur prophétie. Par exemple la Prophétie de Jérémie au sujet de la destruction de Jérusalem était confirmée par les Prophéties des autres Prophètes et les menaces de la Loi ; elle n’avait donc pas besoin d’un signe ; mais Hananias qui, à l’encontre de tous les Prophètes, prophétisait la prompte restauration de la cité, avait nécessairement besoin d’un signe ; autrement il aurait dû douter de sa Prophétie jusqu’à ce que l’événement en eût apporté la confirmation (voir Jérémie, chap. XXVIII, v. 9).

[6] Puis donc que la certitude naissant des signes dans les Prophètes n’est pas une certitude mathématique (c’est-à-dire suivant d’une nécessité inhérente à la perception de la chose perçue ou vue), mais seulement une certitude morale, les signes ont été en conséquence adaptés aux opinions et à la capacité du Prophète ; de façon que le signe donnant à tel Prophète la certitude au sujet de sa Prophétie, ne pût aucunement convaincre tel autre imbu d’opinions différentes ; et, pour cette raison, les signes étaient autres pour chaque Prophète.