TTP - chap.3 - §7 : Dieu a aussi prescrit leurs législations à d’autres nations.
[7] Quant aux autres nations, Dieu leur a-t-il également prescrit des lois particulières et s’est-il révélé à leurs législateurs suivant le mode prophétique, c’est-à-dire sous les attributs dont les Prophètes avaient accoutumé de le revêtir dans leur imagination ? Ce point n’est pas suffisamment établi à mes yeux ; ce qu’on voit du moins dans l’Écriture, c’est que d’autres nations ont eu, par le gouvernement externe de Dieu, un empire et des lois particulières ; pour le montrer, je citerai deux passages seulement. Dans la Genèse (chap. XIV, v. 18, 19, 20), il est raconté que Melchisédec fut roi à Jérusalem et pontife du Dieu très haut, qu’il bénit Abraham suivant le droit du Pontife (voir Nombres, chap VI, v. 23) et qu’Abraham, chéri de Dieu, donna à ce Pontife de Dieu la dixième partie de tout son butin. Tout cela montre assez clairement que Dieu, avant qu’il eût fondé la nation israélite, avait établi des rois et des pontifes à Jérusalem et leur avait prescrit des rites et des lois ; quant à savoir si c’est suivant le mode prophétique, je ne puis, comme je l’ai dit plus haut, le décider. Je me persuade du moins qu’Abraham, pendant le temps qu’il a vécu là, a vécu religieusement suivant ces lois. Abraham en effet n’a reçu en particulier de Dieu aucun rite, et néanmoins il est dit (Genèse, chap. XXVI, v. 5) qu’Abraham observa le culte, les préceptes, les institutions et les lois de Dieu, par quoi il faut indubitablement entendre le culte, les préceptes, les institutions et les lois du roi Melchisédec. Malachie (chap. I, vs. 10, 11), adresse aux Juifs ce reproche : Quel est celui d’entre vous qui fermera les portes (du Temple) pour qu’on ne mette pas ce soir le feu sur mon autel ? Je ne me complais pas en vous, etc. Car, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est grand parmi les nations et partout le parfum m’est apporté et une oblation pure ; car mon nom est grand parmi les nations, dit le Dieu des armées. Ces paroles ne pouvant s’entendre qu’au présent, seul temps admissible, à moins qu’on ne veuille faire violence au texte, prouvent surabondamment que les Juifs, à cette date, n’étaient pas plus chéris de Dieu que les autres nations ; que même Dieu se faisait alors connaître par des miracles aux autres nations plus qu’aux Juifs qui, à ce moment, avaient sans miracles reconquis en partie leur empire ; et aussi que les Nations avaient des rites et des cérémonies par où elles se rendaient agréables à Dieu.
Mais je laisse de côté cette question, car il suffit à mon dessein d’avoir montré que l’élection des Juifs concernait uniquement la félicité temporelle du corps et la liberté, c’est-à-dire l’existence de l’État, ainsi que la façon dont ils l’ont constitué et les moyens par lesquels ils l’ont conservé, conséquemment aussi les lois en tant qu’elles étaient nécessaires à l’établissement de cet État particulier ; et enfin le mode suivant lequel elles furent révélées ; quant au reste et à ce qui constitue la vraie félicité de l’homme, ils n’ont pas été supérieurs aux autres.
Quand donc il est dit dans l’Écriture (voir Deut., chap. IV, v. 7) que nulle nation n’a des Dieux qui soient aussi près d’elle que Dieu est près des Juifs, il faut l’entendre seulement à l’égard de l’État et pour le temps où tant d’événements miraculeux lui sont arrivés.
A l’égard de l’entendement et de la vertu, c’est-à-dire de la béatitude, Dieu, comme nous l’avons dit et montré par la Raison même, est également propice à tous ; cela d’ailleurs ressort assez de l’Écriture elle-même, car le Psalmiste dit (Psaume CXLV, v. 18) : Dieu est proche de tous ceux qui l’appellent, de tous ceux qui l’appellent vraiment. Et dans le même Psaume (v. 9) : Dieu, est bienveillant pour tous et sa miséricorde s’étend â tout ce qu’il a fait. Dans le Psaume XXXV, verset 15, il est dit que Dieu a donné à tous le même entendement et cela dans ces mots : qui forme leur cœur de même sorte ; les Hébreux croyaient en effet que le cœur est le siège de l’âme et de l’entendement, j’estime que cela est assez connu de tous. De plus, du chapitre XXVIII, verset 8, de Job, il ressort que Dieu a prescrit à tous cette loi de révérer Dieu et de s’abstenir des œuvres mauvaises, c’est-à-dire de bien agir, et c’est ainsi que Job, bien qu’il fût un Gentil, fut de tous le plus agréable à Dieu parce qu’il l’emporta sur tous en piété et en religion. Il ressort enfin très clairement de Jonas (chap. IV, v. 2) que ce n’est pas seulement à l’égard des Juifs, mais à l’égard de tous, que Dieu est propice, miséricordieux, indulgent, d’une ample bienveillance et repentant du mal ; Jonas dit en effet : j’avais décidé auparavant de fuir à Tharsis parce que je savais (par les paroles de Moïse qui se trouvent Exode, chapitre XXXIV, verset 6) que tu es un Dieu propice, miséricordieux, etc., et par suite que tu pardonnerais aux Ninivites.