TTP - chap.3 - §§8-9 : Toutes les nations ont eu des Prophètes.
[8] Nous concluons donc (puisque Dieu est également propice à tous et que les Hébreux n’ont été élus de Dieu qu’en ce qui concerne la Société temporelle et l’État) qu’un individu juif considéré seul, en dehors de la Société et de l’État, ne possède aucun don de Dieu qui le mette au-dessus des autres et qu’il n’y a aucune différence entre lui et un Gentil. Puis donc qu’il est vrai que Dieu est bienveillant, miséricordieux, etc., à l’égard de tous et que la fonction d’un Prophète fut moins d’enseigner les lois particulières de la patrie que la vertu véritable et d’en instruire les hommes, il n’est pas douteux que toutes les nations n’aient eu des Prophètes et que le don prophétique n’ait pas été particulier aux Hébreux. Cela d’ailleurs est attesté par l’histoire, tant la profane que la sacrée ; et s’il ne ressort pas des Récits Sacrés de l’Ancien Testament que les autres nations aient eu autant de Prophètes que les Hébreux ou même qu’aucun Prophète gentil leur ait été envoyé expressément par Dieu, cela n’importe en rien, car les Hébreux ont eu soin de raconter leurs propres affaires seulement et non celles des autres nations. Il suffit donc que nous trouvions dans l’Ancien Testament que des incirconcis, des Gentils comme Noé, Hénoch, Abimélech, Balaam, etc., ont prophétisé et qu’en outre les Prophètes Hébreux ont été envoyés par Dieu non seulement pour leur propre nation mais pour beaucoup d’autres. Ézéchiel en effet prophétisa pour toutes les nations connues de son temps. Obadias ne fut prophète, que nous sachions, que pour les seuls Iduméens, et Jonas le fut surtout pour les Ninivites. Isaïe ne se borne pas à déplorer les calamités des Juifs et à célébrer leur rétablissement, il parle aussi d’autres nations ; il dit en effet chapitre XVI, v. 9 : c’est pourquoi je pleurerai sur Jazer, et au chapitre XIX prédit d’abord les calamités des Égyptiens, puis leur rétablissement (chap. XIX, vs. 19, 20, 21, 25), c’est-à-dire que Dieu leur enverra un Sauveur qui les délivrera et que Dieu se fera connaître d’eux et qu’enfin les Égyptiens l’honoreront par des sacrifices et des offrandes ; il appelle finalement cette nation le peuple d’Égypte béni de Dieu ; tout cela paraît grandement mériter d’être noté. Jérémie enfin n’est pas nommé Prophète de la nation hébraïque seulement, mais Prophète des nations sans distinction (voir Jérémie, chap. I, v. 5) ; il pleure dans ses prédictions les calamités des nations et prédit aussi leur rétablissement ; il dit en effet (chap. XLVIII, v. 31) au sujet des Moabites : c’est pourquoi je parlerai à cause de Moab et j’élèverai une clameur au sujet de tout Moab, etc., chap. XXXVI : c’est pourquoi mon cœur retentit comme un tambour à cause de Moab ; enfin il prédit leur rétablissement comme aussi celui des Égyptiens, des Ammonites et des Élamites. Il n’est donc pas douteux que les autres nations n’aient, comme les Juifs, leurs Prophètes qui ont prophétisé pour elles et pour les Juifs.
[9] Bien que l’Écriture ne fasse mention que du seul Balaam à qui fut révélé l’avenir des Juifs et des autres nations, il ne faut cependant pas croire que Balaam ait prophétisé en cette seule occasion ; il ressort en effet très clairement de l’histoire elle-même qu’il s’était distingué depuis longtemps par la prophétie et d’autres dons divins. Quand Balak en effet le fait venir, il dit (Nombres, chap. XXII, v. 6) : parce que je sais que celui que tu bénis est béni, et maudit celui que tu maudis. Il avait donc cette même vertu que Dieu accorde (voir Genèse, chap. XII, v. 3) à Abraham. Balaam en second lieu répond aux envoyés en homme habitué aux prophéties, qu’ils aient à l’attendre jusqu’à ce que la volonté de Dieu lui soit révélée. Quand il prophétisait, c’est-à-dire interprétait la vraie pensée de Dieu, il avait accoutumé de dire de lui-même : la parole de celui qui entend les paroles de Dieu et qui connaît la science (ou la pensée et la prescience) du Très-Haut, qui voit la vision du Tout-Puissant, qui tombe à terre et qui a les yeux ouverts. Enfin, après qu’il eut béni les Hébreux par ordre de Dieu, il commença (telle était sa coutume en effet) de prophétiser et de prédire l’avenir pour les autres nations. Tout cela indique surabondamment qu’il fut toujours Prophète ou prophétisa plusieurs fois et (cela encore est à noter) qu’il eut ce qui surtout donnait aux Prophètes la certitude de la vérité de la prophétie, savoir un cœur n’ayant d’inclination que pour le juste et le bon. Il ne bénissait pas en effet, ni ne maudissait qui il voulait, comme le pensait Balak, mais seulement ceux que Dieu voulait qui fussent bénis ou maudits ; et c’est ainsi qu’il répondit à Balak : quand Balak me donnerait assez d’argent et d’or pour remplir son palais, je ne pourrais transgresser le commandement de Dieu, et faire du bien et du mal à mon choix ; ce que Dieu dira, je le dirai. Pour ce qui touche la colère de Dieu contre lui, pendant son voyage, la même chose arriva à Moïse quand il allait en Égypte par l’ordre de Dieu (voir Exode, chap. IV, v. 24), et quant à l’argent qu’il recevait pour prophétiser, Samuel en faisait autant (voir Samuel, I, chap. IX, vs. 7, 8) ; s’il a péché en quelque autre point (voir à ce sujet Épître II de Pierre, chap. II, v. 15, 16, et Ep. de Jude, 11), nul n’est si juste qu’il agisse toujours bien et ne pèche jamais (voir Ecclés., chap. VII, v. 20). Et certes ses discours ont dû avoir toujours beaucoup de force devant Dieu, et sa puissance pour maudire fut assurément très grande, puisqu’on trouve si souvent dans l’Écriture, pour attester la grande miséricorde de Dieu envers les Hébreux, que Dieu ne voulut pas écouter Balaam et qu’il changea sa malédiction en bénédiction (voir Deut., chap. XXIII, v. 6 ; Josué, chap. XXIV, v. 40 ; Néhem., chap. XIII, v. 2) ; il fut donc indiscutablement très agréable à Dieu, car les discours des impies et leurs malédictions ne touchent pas Dieu le moins du monde. Puis donc que cet homme fut un vrai Prophète et est cependant nommé par Josué devin, c’est-à-dire augure (chap. XIII, v. 32), il est certain que ce nom est pris en bonne part, que ceux que les Gentils avaient accoutumé d’appeler augures et devins furent de vrais Prophètes, et que ceux que l’Écriture accuse et condamne maintes fois furent de faux devins trompant les Gentils comme les faux Prophètes trompaient les Juifs. C’est ce qui ressort d’ailleurs assez clairement d’autres passages de l’Écriture. Nous concluons donc que le don prophétique n’a pas été particulier aux Juifs, mais commun à toutes les nations.