TTP - chap. X - §§12-16 : Les fautes qui se sont glissées dans ces textes lors de leur transmission ; les notes marginales qui leur ont été ajoutées.



[12] Je le montrerai bientôt, mais auparavant je veux faire observer que si l’on devait accorder aux Pharisiens que les leçons marginales de ces textes remontent aux premiers auteurs des livres, on devrait dire nécessairement que ces auteurs, s’ils étaient plusieurs, les ont notées parce que le texte des Chroniques où ils puisèrent et qu’ils transcrivirent, n’était pas assez soigné, et que malgré l’évidence de certaines fautes, ils n’osèrent pas corriger ce texte ancien venant des ancêtres. Je n’ai pas besoin de revenir plus longuement sur un point déjà discuté.

Je passe donc à l’indication des fautes qui ne sont pas notées en marge :

[13] 1° je ne sais combien je dois dire qu’il s’en est glissé dans le chapitre II d’Esdras ; au verset 64 en effet, on nous donne le total général de tous ceux qui avaient été dénombrés par groupes dans le chapitre et ce total est 42.360, tandis que si l’on fait l’addition des totaux partiels, on trouve seulement 29.818. Il y a donc une erreur soit dans le total général, soit dans les totaux partiels. Le total général cependant semble avoir dû être indiqué correctement, parce que tout le monde l’avait sans doute retenu comme une chose digne de mémoire ; il n’en est pas de même des totaux partiels. Si donc l’erreur s’était glissée dans le total général, tout le monde l’eût aperçue incontinent et on l’eût facilement corrigée. Cela d’ailleurs est entièrement confirmé par le chapitre VII de Néhémie qui reproduit ce chapitre d’Esdras (appelé l’Épître de la Généalogie), comme l’indique expressément le verset 5 et qui s’accorde pleinement avec l’indication donnée dans le livre d’Esdras au sujet du nombre total, tandis qu’à l’égard des totaux partiels il y a beaucoup de divergences : les uns sont moindres, les autres plus élevés que dans Esdras et l’addition de ces nombres donne un total de 31.089. Donc point de doute à avoir : dans les totaux partiels seuls, ceux du livre d’Esdras comme ceux de Néhémie, il se trouve plusieurs erreurs. Les commentateurs qui travaillent à concilier entre elles ces contradictions manifestes, font de leur mieux suivant leurs forces pour inventer une explication et, dans leur adoration des lettres et des mots de l’Écriture, ne voient pas qu’ils exposent tout simplement au mépris, comme nous en avons déjà fait l’observation, les auteurs des Livres, faisant d’eux des hommes qui ne savaient ni parler ni ordonner les matières de leurs discours. Ils vont plus loin, ils rendent complètement obscur ce qu’il y a de clair dans l’Écriture ; car si l’on se permettait d’expliquer partout les Écritures à leur manière, il n’y aurait pas un texte du vrai sens duquel on ne pût douter. Il n’y a pas de raison cependant pour s’attarder à cette discussion car, j’en ai la conviction, si quelque historien voulait imiter la manière de faire qu’ils imputent dévotement aux auteurs de la Bible, eux-mêmes le tourneraient en dérision par mainte raillerie. Et s’ils pensent qu’on blasphème quand on dit que l’Écriture, dans quelque passage, est menteuse, de quel nom, je le demande, les appeler, eux qui introduisent dans les Écritures toutes les inventions qui leur plaisent ? qui ravalent les historiens sacrés au point qu’ils semblent radoter et tout confondre ? qui rejettent ce qu’il y a de plus clair et de plus évident dans l’Écriture ? Quoi de plus clair dans l’Écriture que l’intention qu’a eue Esdras, avec ses compagnons, dans l’Épître de la Généalogie, reproduite au chapitre II du livre mis sous son nom, de répartir en groupes le nombre total des Israélites qui partirent pour Jérusalem ? puisqu’il ne donne pas seulement le nombre de ceux qui purent faire connaître leur généalogie, mais aussi de ceux qui ne le purent pas. Quoi de plus clair d’après le verset 5, chapitre VII, de Néhémie que ce chapitre est la transcription pure et simple de cette Épître ? Ceux donc qui expliquent ces passages autrement ne font autre chose que nier le vrai sens de l’Écriture et, par conséquent, l’Écriture elle-même ; et ils croient faire œuvre pie quand ils veulent à tout prix accorder un passage de l’Écriture avec d’autres ! Risible piété en vérité qui consiste à accommoder la clarté d’un passage à l’obscurité d’un autre, à confondre le véridique et le menteur et à corrompre ce qui est sain par ce qui est gâté. Je ne veux pourtant pas les appeler des blasphémateurs, car ils n’ont pas de mauvaise intention et il est de l’homme de se tromper.

[14] Je reviens cependant à mon propos. Outre les fautes qu’il faut accorder qui se trouvent dans les totaux de l’Épître de la Généalogie, aussi bien ceux d’Esdras que ceux de Néhémie, il y a aussi plusieurs erreurs à noter dans les noms mêmes des familles ; plusieurs dans les généalogies, dans les récits et, j’en ai peur, dans les prophéties elles-mêmes. Certes en effet la Prophétie de Jérémie sur Jéchonias au chapitre XXII ne semble pas du tout s’accorder avec l’histoire de Jéchonias (voir fin du livre II des Rois et Jérémie et Paralip., liv. I, chap. III, vs. 17, 18, 19), particulièrement les paroles du dernier verset de ce chapitre ; et je ne vois pas non plus comment il a pu dire de Sédécias de qui les yeux furent arrachés sitôt qu’il eut vu tuer ses enfants : tu mourras en paix, etc. (voir Jérémie, chap. XXXIV, v. 5). Si dans l’interprétation des Prophéties on devait se régler sur l’événement, il y aurait lieu de changer ces noms et de substituer ceux de Sédécias et de Jéchonias l’un à l’autre ; mais cette liberté serait excessive et je préfère laisser ce point comme impossible à entendre, d’autant que, s’il y a une erreur ici, il faut l’attribuer à l’Historien, non à un défaut des manuscrits.

[15] Quant aux autres erreurs dont j’ai parlé, je ne crois pas devoir les noter ici, parce que je ne pourrais le faire sans infliger au lecteur beaucoup d’ennui et que d’ailleurs d’autres les ont déjà remarquées. R. Salomon, à cause des contradictions très évidentes qu’il a observées dans les généalogies rapportées, a été obligé de conclure en ces termes (voir son commentaire sur le livre I, chapitre VIII des Paralipomènes) : Si Esdras (qu’il croit être l’auteur des Paralipomènes) appelle les fils de Benjamin d’autres noms et donne de sa descendance un tableau autre que ne fait la Genèse, s’il donne sur la plupart des cités des Lévites des indications autres que celles de Josué, cela vient de ce qu’il a eu sous les yeux des originaux différents. Et un peu plus loin : si la descendance d’Abigabaon et d’autres personnages est reproduite deux fois et de deux manières différentes, c’est parce qu’Esdras a eu sous les yeux pour chaque descendance différents documents et a suivi en les reproduisant l’indication donnée par la majorité d’entre eux, mais quand le nombre des tableaux généalogiques en désaccord s’est trouvé le même des deux côtés, il a reproduit les deux descendances. R. Salomon accorde donc absolument par ces paroles que ces livres ont été transcrits d’originaux qui n’étaient ni assez corrects ni assez sûrs. Les commentateurs en vérité en s’appliquant à accorder entre eux des passages inconciliables ne font rien que montrer les causes des erreurs commises. Suivant mon appréciation enfin nul homme de jugement sain n’admettra que les Historiens sacrés aient voulu écrire tout exprès de telle façon que leur texte se trouvât par places en contradiction avec lui-même.


[16] On me dira peut-être que, par cette façon de traiter l’Écriture, je la renverse entièrement car il n’est personne qui raisonnant comme moi ne puisse la soupçonner d’être menteuse partout. Tout au contraire j’ai montré que, par la façon dont je traite l’Écriture, je réussis à empêcher que les passages clairs et purs ne soient gâtés, corrompus par les passages menteurs avec lesquels on veut les accorder ; et ce n’est pas une raison parce que certains passages sont corrompus pour qu’il soit permis de les soupçonner tous ; y eut-il jamais un livre qui ne contînt des fautes ? Et, je le demande, quelqu’un l’a-t-il jamais pour cette cause soupçonné d’être partout menteur ? Personne n’a eu cette idée certes, surtout quand le texte est clair et la pensée de l’auteur clairement perçue.