TTP - chap. XIII - §§1-4 : L’Ecriture ne contient que des choses très simples.



[1] Dans le chapitre II de ce Traité, nous avons montré que les Prophètes ont eu une faculté singulière d’imaginer seulement, mais non de connaître, que Dieu ne leur a nullement révélé les arcanes de la philosophie, mais des choses de la plus grande simplicité et qu’il s’est adapté à leurs opinions préconçues. Nous avons montré en second lieu au chapitre V que l’Écriture dans ses commandements a voulu rendre ses communications et ses enseignements aussi faciles à percevoir que possible pour un chacun ; qu’en conséquence elle n’a point suivi la méthode déductive, partant d’axiomes et de définitions et enchaînant les vérités, mais les a simplement énoncées, et, pour les rendre croyables, les a confirmées par l’expérience seule, c’est-à-dire par des miracles et des récits historiques, qu’enfin dans ces récits même elle use des phrases et du style le plus propres à émouvoir l’âme de la foule ; voyez sur ce point ce qui a été démontré en troisième lieu au chapitre VI. Enfin dans le chapitre VII nous avons montré que la difficulté d’entendre l’Écriture consiste dans la langue seule, non dans la hauteur du sujet. A quoi s’ajoute que les Prophètes n’ont pas prêché pour les habiles, mais pour tous les juifs absolument, et que les Apôtres avaient accoutumé d’enseigner la doctrine évangélique dans les Églises où se tenait l’assemblée commune. De tout cela il suit que la doctrine de l’Écriture n’est pas une philosophie, ne contient pas de hautes spéculations, mais seulement des vérités très simples et qui sont aisément percevables à l’esprit le plus paresseux.

[2] Je ne puis donc assez admirer la complexion d’esprit de ces hommes, dont j’ai parlé plus haut, qui voient dans l’Écriture de si profonds mystères qu’on ne peut les expliquer en aucune langue, et qui ont ensuite introduit dans la Religion tant de philosophie et de spéculations que l’Église semble devenue une Académie, la Religion une science, ou plutôt une controverse. Quoi d’étonnant cependant si des hommes qui se vantent d’avoir une lumière supérieure à la naturelle, ne veulent pas le céder en connaissance aux philosophes réduits à la naturelle ? Certes je trouverais cela digne d’admiration si ces hommes enseignaient quelque chose de neuf dans l’ordre de la pure spéculation, quelque chose qui n’ait pas été parfaitement banal dans la Philosophie des Gentils (qu’ils affirment cependant avoir été aveugles). Qu’on cherche en effet quels sont ces mystères cachés dans l’Écriture, visibles pour eux, on ne trouvera rien que des inventions d’Aristote ou de Platon ou de quelque autre semblable, que souvent le premier venu des simples d’esprit pourrait reproduire avec moins de peine en rêve que le plus grand érudit n’en aurait à les découvrir dans l’Écriture.


[3] Ce n’est pas que nous nous refusions absolument à admettre que certaines vérités d’ordre purement spéculatif appartiennent à la doctrine de l’Écriture, car dans le chapitre précédent nous en avons énoncé quelques-unes de telles et nous les avons données comme fondamentales dans l’Écriture ; ce que je soutiens, c’est qu’il s’en trouve fort peu de cette sorte et de fort simples seulement. J’ai résolu de montrer ici quelles sont ces vérités et par quelle méthode on peut les déterminer. Cela nous sera facile si nous savons que l’objet de l’Écriture n’a pas été d’enseigner les sciences ; car nous pouvons en conclure aisément qu’elle exige des hommes seulement de l’obéissance et condamne seulement l’insoumission, non l’ignorance. Ensuite, comme l’obéissance envers Dieu ne consiste que dans l’amour du prochain (qui aime son prochain, je veux dire, qui l’aime afin d’obéir à Dieu, accomplit la Loi, Paul l’affirme dans l’Épître aux Romains, chap. XIII, v. 8), il suit que la seule science recommandée par l’Écriture est celle qui est nécessaire à tous les hommes pour obéir à Dieu suivant ce précepte, et dans l’ignorance de laquelle ils sont par suite nécessairement insoumis ou du moins non instruits à l’obéissance. Quant aux spéculations qui ne tendent point à ce but, qu’elles concernent la connaissance de Dieu ou celle des choses naturelles, elles n’ont point de rapport avec l’Écriture et doivent donc être séparées de la Religion révélée.

[4] Bien qu’il n’y ait là, comme nous l’avons dit, rien que de facile à voir pour un chacun, comme il y va de toute la Religion, je veux le montrer plus exactement et l’expliquer plus clairement. Il est requis à cet effet qu’on voie d’abord que la connaissance intellectuelle, autrement dit, exacte de Dieu, n’est pas, comme l’obéissance, un don commun à tous les fidèles ; en second lieu que la seule connaissance que, par les Prophètes, Dieu exige de tous universellement, et que chacun soit tenu d’avoir est celle de sa Justice et de sa Charité Divines. L’un et l’autre point se démontrent facilement par l’Écriture :