Traité politique, X, §03



Les tribuns du peuple aussi étaient perpétuels à Rome [1], mais incapables de triompher de la puissance d’un Scipion ; ils devaient en outre soumettre au Sénat lui-même les mesures qu’ils jugeaient salutaires et souvent ils étaient joués par lui, le Sénat s’arrangeant pour que la faveur de la plèbe allât à celui que les sénateurs craignaient le moins. A quoi s’ajoute que toute la force des tribuns contre les patriciens reposait sur la faveur du peuple et que, lorsqu’ils faisaient appel à la plèbe, ils semblaient plutôt émouvoir une sédition que convoquer une Assemblée. Dans un État comme celui que nous avons décrit dans les deux chapitres précédents [2], pareil inconvénient ne se produira pas.


Traduction Saisset :

On m’objectera qu’à Rome aussi les tribuns du peuple étaient perpétuels. Il est vrai, mais ils n’étaient pas capables de mettre obstacle à la puissance d’un Scipion ; et en outre ils étaient obligés de porter d’abord les mesures qu’ils jugeaient favorables devant le Sénat lui-même, qui souvent se jouait d’eux, en faisant agréer au peuple l’homme qui inspirait le moins de craintes aux sénateurs eux-mêmes. Ajoutez à cela que la puissance des tribuns était protégée contre les patriciens par la faveur du peuple, et que ces tribuns avaient plutôt l’air d’exciter une sédition que de convoquer une assemblée, toutes les fois qu’ils appelaient le peuple au forum. Voilà des inconvénients qui n’existent pas dans l’État que nous avons décrit aux deux chapitres précédents.


At Romae plebis tribuni perpetui etiam erant ; verum impares, ut Scipionis alicuius potentiam premerent ; et praeterea id, quod salutare esse iudicabant, ad ipsum senatum deferre debebant, a quo etiam saepe eludebantur, efficiendo scilicet, ut plebs ei magis faveret, quem ipsi senatores minus timebant. Ad quod accedit, quod tribunorum contra patricios auctoritas plebis favore defenderetur, et quotiescumque ipsi plebem vocabant, seditionem potius movere, quam concilium convocare viderentur. Quae sane incommoda in imperio, quod in praecedd. duobus capp. descripsimus, locum non habent.

[1Sur les tribuns du peuple à Rome, voyez : Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre III, chap.1 ; Rousseau, Du contrat social, livre IV, chap.5.