Traité politique, X, §02
Il n’est pas douteux au contraire (par le § 3 du chapitre VI) que si, maintenant la forme de l’État, le glaive du dictateur pouvait se dresser perpétuellement [1] et être redoutable seulement aux méchants, jamais le mal ne s’aggraverait au point qu’il ne pût être supprimé ou redressé. C’est pour satisfaire à ces conditions que nous avons subordonné à l’Assemblée générale un Conseil des syndics, de façon que le glaive perpétuel ne soit pas au pouvoir d’une personne naturelle, mais d’une personne civile dont les membres sont trop nombreux pour qu’ils puissent se partager l’État (par les §§ 1 et 2 du chapitre VIII) ou s’accorder pour un crime ; à quoi s’ajoute qu’il leur est interdit d’occuper les autres charges de l’État, qu’ils ne paient pas de solde à la force armée et enfin sont d’un âge où l’on préfère un état de choses existant et sûr à des nouveautés dangereuses. Ils ne menacent donc l’État d’aucun danger, ne peuvent être et ne seront effectivement redoutables qu’aux seuls méchants, non aux bons. Sans force pour commettre des crimes, ils auront assez de puissance pour réfréner les tentatives criminelles. Outre que, en effet, ils peuvent s’opposer au mal dans son germe (parce que leur Conseil est perpétuel), ils sont assez nombreux pour ne pas craindre d’inspirer de la haine à un puissant ou à deux, en les accusant et les condamnant ; étant donné surtout qu’ils expriment leur avis par des boules et que la sentence est prononcée au nom de tout le Conseil.
Traduction Saisset :
Il n’est pas douteux au contraire (par l’article 3 du chapitre VI) que si le glaive dictatorial pouvait, sans que la forme du gouvernement en fût altérée, avoir un caractère de permanence et se rendre redoutable aux seuls méchants, jamais les vices de l’État ne grandiraient au point de ne pouvoir être extirpés ou du moins atténués. C’est pour réunir toutes ces conditions que nous avons voulu subordonner le conseil des syndics au conseil suprême, de façon que le glaive dictatorial soit perpétuellement entre les mains non pas d’une personne naturelle, mais bien d’une personne civile, dont les membres soient trop nombreux pour se partager l’empire (par les articles 1 et 2 du chapitre précédent), ou pour comploter quelque attentat d’un commun accord. C’est en vue du même but que les syndics sont écartés des autres charges de l’État, qu’ils n’ont point de solde à payer aux troupes, et qu’ils sont enfin d’un âge à préférer la sécurité du présent aux hasards d’un ordre de choses nouveau. De cette façon ils ne sont pas dangereux à l’État, ni par suite aux bons citoyens, tandis qu’ils peuvent être et sont en effet la terreur des méchants. Moins ils ont de force pour commettre des crimes, et plus ils en ont pour les réprimer. Car, outre qu’ils peuvent y mettre obstacle dès l’origine (puisque le conseil des syndics est perpétuel), ils sont assez nombreux pour avoir le courage d’accuser et de condamner tel ou tel citoyen puissant sans redouter sa haine, d’autant que les suffrages sont donnés avec des boules et que la sentence est prononcée au nom du conseil tout entier.
At contra dubitare nequaquam possumus (per art. 3. cap. 6.), quod si possit servata imperii forma dictatoris gladius perpetuus et malis tantummodo formidini esse, nunquam eo usque vitia invalescere poterunt, ut tolli aut emendari nequeant. Ut igitur has omnes conditiones obtineamus, syndicorum concilium concilio supremo subordinandum diximus, ut scilicet dictatorius ille gladius perpetuus esset, non penes personam aliquam naturalem, sed civilem, cuius membra plura sint, quam ut imperium inter se possint dividere (per art. 1. et 2. cap. 8.) vel in scelere aliquo convenire. Ad quod accedit, quod a reliquis imperii muneribus subeundis prohibeantur, quod militiae stipendia non solvant, et quod denique eius aetatis sint, ut praesentia ac tuta, quam nova et periculosa malint. Quare imperio nullum ab iis periculum, et consequenter non bonis, sed malis tantummodo formidini esse queunt, et revera erunt. Nam ut ad scelera peragenda debiliores, ita ad militiam coercendam potentiores sunt. Nam praeterquam quod principiis obstare possunt (quia concilium aeternum est), sunt praeterea numero satis magno, ut sine invidiae timore potentem unum aut alterum accusare et damnare audeant ; praesertim quia suffragia calculis feruntur, et sententia nomine totius concilii pronunciatur.
[1] Machiavel examine une telle dictature permanente : Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre I, chap. 34.