Dans le chapitre « Pour la vérité » tiré de son œuvre Sens et non-sens, Maurice Merleau-Ponty fait état des liens entre la politique et l’histoire, ou plus précisément philosophie de l’histoire. La philosophie de l’histoire doit-elle nourrir la politique ? A en croire les sceptiques la réponse est clairement non. Il faut exercer une politique réaliste et objective se basant uniquement sur les faits tels qu’ils sont et tels qu’ils nous apparaissant, sans aucune interprétation .Le but étant de régler l’action sans être influencé par une quelconque philosophie de l’histoire, ni par ses propres jugements ou rêves, la politique devant être parfaitement objective. Merleau-Ponty réfute cette thèse en affirmant qu’il est impossible de rester parfaitement objectif, par exemple de par le simple fait de se baser sur les faits, ce qui sous-entend de faire un tri implicite, entre eux. Il démontre l’absurdité du scepticisme historique afin d’affirmer au mieux sa thèse dans un second temps. S’il ne croit pas à l’absurdité de l’histoire pensée par les sceptiques, il s’oppose également à une histoire rationnelle. Il faudrait trouver un sens à l’absurdité, là où il se présente. Mais doit-on pour autant nier, ou du moins douter d’une certaine logique de la succession des fais historiques ?

Les deux premières phrases du texte servent d’introduction à la thèse de l’auteur, et sont représentatives de la démarche suivie à travers cet extrait pour en démontrer le bien-fondé. Ainsi la première phrase correspond à l’affirmation de la thèse sceptique, sous la forme d’une question rhétorique à laquelle on est tenté d’adhérer dans un premier temps. La politique doit « renoncer à se fonder sur une philosophie de l’histoire, et, prenant le monde comme il est, définir ses fins et ses moyens d’après ce que les faits autorisent ». Autrement dit, l’organisation de la vie en société, ses aspects économiques, sociaux et diplomatiques, ne doit pas être influencée par une philosophie se basant sur l’histoire pour en définir les raisons logiques, une histoire prescriptive dont la volonté est de suivre un fil conducteur logique régi par les faits passés. Car il faut garder une objectivité totale dans la politique, ce à quoi la philosophie de l’histoire s’oppose précisément. Les autres termes se référant à une part de subjectivité sont ensuite niés tour à tour. Il ne faut pas se fier à nos rêves ni à nos vœux, ne pas forcément voir en nos désirs une réalité possible mais en faire abstraction... Il faut garder les pieds sur terre et rester réaliste. Les jugements de valeur, c’est à dire la valeur morale que l’on peut penser de nos actions, ne doivent pas non plus être pris en compte car ils pourraient influencer certaines décisions par notre pensée individuelle, et ainsi bloquer par exemple certaines actions ou les exercer d’une façon trop personnelle. « Il faut définir ses fins et ses moyens d’après ce que les faits autorisent », ce qui oppose les faits à toute forme de subjectivité, et prendre « le monde tel qu’il est », en prenant en compte les faits présents dans leur globalité, contrairement aux faits passés qui obéissent indubitablement à la subjectivité de ceux qui les relatent. La fin correspond à l’objectif voulu, qui doit être atteint grâce aux moyens mis en place, les décisions politiques. Pour illustrer cela prenons un exemple d’actualité, à savoir la crise de la dette souveraine. Pour y mettre un terme, ou en tout cas l’atténuer, il est indispensable de renflouer les caisses de l’État, ce qui est la fin. Pour y parvenir il faut trouver l’argent là où il est, et la source la plus évidente pour cela est la population. Ainsi le moyen le plus évident sera de gagner de l’argent auprès de la population, et donc sans aucun jugement de valeur ni philosophie de l’histoire cela se ferait de façon arbitraire, en augmentant le taux de l’impôt sur le revenu de la même proportion pour tous, élites comme classe populaire.Dans la phrase suivante, Merleau-Ponty émet une objection tendant à démontrer l’impossibilité d’appliquer une politique telle qu’elle est souhaitée dans cette première phrase. Il explique qu’on « ne se passe pas de mise en perspective » , c’est à dire qu’il faut s’imaginer la fin de notre action, les conséquences des moyens mis en place pour y parvenir afin de savoir vers où l’on va, et cela passe par une lecture du passé, c’est à dire une philosophie de l’histoire qui permette de savoir quelles en seront les conséquences sur le présent et comment cela va conditionner notre avenir. Il faut donc y voir passé, présent et futur là où la thèse affirmée précédemment avait pour unique but de se baser sur le présent. Une mise en perspective passe immanquablement par l’affirmation d’un vœu, qui représente la fin de l’action. C’est le cas où la décision politique atteint immanquablement sa fin désirée, et avec ce seul facteur on peut dire que la fin justifie les moyens. Mais les moyens sont décidés en fonction des jugements de valeur, qui détermine si leur mise en place est moralement acceptable ou pas, et donc se posera la question de savoir si la fin justifie réellement les moyens. La philosophie de l’histoire permet de déterminer vers quelles options se tourner, en considérant aussi bien les moyens que la fin. Ainsi en reprenant ce même exemple de la crise de la dette où il est nécessaire à l’État de reprendre de l’argent là où il est disponible, le décisionnaire sera guidé par le vœu de faire gagner de l’argent à l’État, et étudiera toutes les possibilités qui s’offrent à lui avant d’en choisir une, déterminée par son jugement de valeur. Ainsi il pourra choisir de donner les mêmes impôts à tous, éventuellement de taxer les plus riches, ou encore de diminuer tout simplement les dépenses de l’État. Après avoir réfléchit au fait qu’il serait désastreux d’exiger des impôts supplémentaires aux plus modestes car il se trouveraient dans une situation difficilement supportable (non acceptable moralement) et de plus cela risquerait d’entraîner une révolte de leur part, peut-être comparable à celle qui a sévi dans les années 30 qui a encouragé les gens défavorisés à voter pour les extrêmes, et a par exemple été la cause de l’avènement du nazisme. On connaît la suite... D’un point de vue aussi bien moral qu’historique, il serait donc impensable de taxer les plus démunis, et donc la solution se trouverait dans une hausse des impôts bien plus significative pour les plus riches, ou alors en revoyant à la baisse les dépenses de l’État. Les jugements de valeur, au même titre que la philosophie de l’histoire, sont des marques de subjectivité qui semblent indispensables à la mise en place d’une politique qui, en plus d’être efficace, soit la plus juste possible afin d’en limiter les possibles conséquences néfastes. Ils sont d’ailleurs indissociables de la nature humaine et il est impossible de s’en passer, même involontairement. Après cette introduction, Merleau-Ponty va développer un paragraphe afin de démontrer plus en détails l’absurdité du scepticisme, aussi bien historique que politique.

Et la première phrase de ce paragraphe souligne dès lors l’absurdité du scepticisme-même. Le sceptique croit en « l’irrationalité de l’histoire », c’est à dire en une succession de faits sans lien apparent qui constituent l’histoire, et il est impossible de trouver une logique quelconque à son déroulement. Cette idée est d’ailleurs assez significative de la pensée sceptique, qui ne croit pas en une vérité absolue et impose de suspendre son jugement en permanence, sans donc jamais prendre position. Pour la simple raison que, comme le disait le chef sceptique Sextus Empiricus, « A tout raisonnement on peut opposer un raisonnement de force égale ». Il serait donc impossible d’avoir raison à part en détenant la vérité absolue, ce en quoi précisément les sceptiques ne croient pas. S’il est évident que dans un premier temps le sceptique « Démontr[e] l’irrationalité de l’histoire », il devient au contraire assez inexplicable qu’il en vienne « aux conclusions pratiques » malgré « ses scrupules de méthode ». Ce terme-même de « conclusions pratiques » est antithétique, associé au « sceptique ». Car ne doit-il pas suspendre son jugement et par là-même ne jamais tirer de conclusions de quoi que ce soit, d’autant plus « après avoir démontré l’irrationalité de l’histoire » ? Car s’il tire des conclusions de l’histoire, il suit par conséquent une philosophie de l’histoire alors qu’il s’oppose à cette pratique. Ce paradoxe est justifié par Merleau-Ponty dans la phrase suivante, où il affirme qu’il faut « pour régler l’action , considérer certains faits comme dominants et d’autres comme secondaires ». Ainsi pour prendre une décision politique, ce sur quoi les sceptiques se basent, à savoir les faits et rien que les faits, impliquent une part de subjectivité. Si objectifs et impartiaux que puissent être en eux-même les faits, leur étude est invariablement subjective puisqu’il faut bien considérer certains faits comme plus importants que d’autres, ce qui sous-entend un choix fait de la part du politicien. Par exemple, si une banlieue difficile est le théâtre d’émeutes et d’affrontements violents entre jeunes et policiers, et que dans le même temps un homme tabasse à coups de poing un jeune policier dans un petit village en Creuse, il sera décidé en priorité d’envoyer des renforts dans la banlieue et non dans le village car le danger y est plus massif. Mais pour prendre cette décision, il faut bien considérer les événements en banlieue comme plus importants que ceux que connaissent le petit village, c’est un choix aussi inévitable qu’évident. Et la notion-même de choix renvoie donc à la subjectivité, pourtant évitée à tout prix par les sceptiques. Dans cette mesure, une politique sceptique « renferme une philosophie de l’histoire honteuse » car involontaire et dont il n’est même pas conscient. Elle est qualifiée de philosophie de l’histoire étant donné qu’il s’agit de choisir à partir des faits présents, qui dès qu’ils sont relatés appartiennent au passé, une idée directrice implicite afin de prendre une décision pour le présent, voire pour un futur proche. Elle est aussi honteuse car « vécue plutôt que pensée », le sceptique vivant les faits dans le présent de façon volontairement objective, et bien qu’il y trouve implicitement et involontairement une idée conductrice, il le fait sans y réfléchir de façon sérieuse dans sa volonté d’objectivité, tout comme il ne réfléchit pas non plus aux faits du passé et à l’histoire, la trouvant soi-disant absurde. Cette philosophie de l’histoire est vécue sur le moment avant d’être plus tard oubliée, et non pensée en amont. Cela permet d’affirmer que « dans le fait, le scepticisme historique est toujours conservateur » car il ne réfléchit pas à une philosophie de l’histoire qui pourrait suivre une idée précise, une volonté de changement pour un monde meilleur, mais au contraire s’obstine à se baser sur les faits et y faire un tri implicite, ce qui les renforce dans ce qu’ils sont et s’oppose à toute idée de changement. La volonté de ne pas faire de mise en perspective renforce encore cette idée, puisque cela permet au présent de suivre son cours indépendamment d’éventuelles espérances pour le futur. La cause de cette volonté conservatrice est la conviction du sceptique à « retranche[r] de l’histoire le changement et les volontés des hommes » ce qui exclut bien évidemment toute philosophie de l’histoire pensée en en retirant tout ce qui fait sa substance, car elle n’est qu’une succession de faits dont les plus importants et les plus marquants sont les principaux bouleversements causés par la volonté des hommes, ces volontés qui par définitions sont subjectives, mêmes partagées par un groupes de plusieurs personnes, et donc auxquelles les sceptiques s’opposent. Pour être parfaitement objectif, il faut rester conservateur car tout changement est causé par un vœu subjectif.Ainsi le scepticisme politique qui défend une objectivité totale est tout simplement inenvisageable, car dans toute politique il y a forcément une part de subjectivité, volontaire ou non. De plus, aussi loin que puisse être poussée l’objectivité, elle entraînera une politique conservatrice d’où les volontés des hommes et donc tout changement seraient retirées, ce qui en fait en ferait une politique absurde car dépourvue d’action. La réfutation de la thèse sceptique est pour Merleau-Ponty un bon moyen de mieux affirmer la sienne et de démontrer sa justesse.

Il adhère au principe d’être « dociles au faits et pleinement réalistes », qui est la base d’une politique sceptique, mais en rejette en grande partie les moyens d’y arriver. Il faut d’abord « rejeter tous les postulats », c’est à dire les causes premières des faits, preuves évidentes mais indémontrables sur lesquelles se basent les sceptiques. Il est ensuite donné justement l’exemple d’un postulat sceptique, selon lequel « les hommes se conduisent toujours sottement, dominés par le passé et par les causes extérieures, ou menés par quelques habiles, qui les connaissent, à des fins ignorées d’eux. ». Les sceptiques croient donc à un Homme qui soit sot par nature, n’ayant aucun libre-arbitre puisque « dominé par le passé et les causes extérieures ». Ainsi il n’y aurait pas de volonté propre à l’homme, mais seulement conditionnée par sa nature sotte et sa passivité face aux faits passés et présents, commune à tous. Seuls les « quelques habiles », désignant probablement les politiciens, philosophes, ou révolutionnaires se démarquent de cette masse. Ce sont eux qui sont libres et mènent les hommes là où ils le veulent, puisque ce sont les seuls ayant une volonté propre. Ils sont suivis par la masse car ceux-ci se trouvent une volonté à travers ces meneurs. C’est d’ailleurs probablement la principale cause pour laquelle les sceptiques croient en « l’irrationalité de l’histoire ». En effet l’histoire ne serait qu’une suite d’événements, dont les plus marquants sont le résultat d’une volonté de changement de la part des hommes (Il suffit de voir que les événements historiques les plus connus nous sont les révolutions, les guerres qui ont marqué une rupture, et les différents périodes historiques se distinguent entre elles par les différents modes de pensée des hommes, résultat direct des événements majeurs). Et ces changements seraient absurdes dans le sens où il ne seraient pas le fruit d’une opinion générale manifestée par tous et donc indiscutable, mais d’une opinion particulière pensée par un et suivie par tous. L’histoire dépendrait des individus et non d’un collectif. Ainsi les guerres seraient seulement causée par la volonté des rois, les révolutions seulement par la volonté d’un individu qui aurait réussi à exhorter le peuple à lui tout seul, grâce à son talent. En imaginant que ces individus n’aient pas existé, le cours de l’histoire aurait probablement été tout autre et c’est en cela qu’elle est absurde, et non logique. Car l’histoire dépendrait seulement de la volonté et du talent de quelques hommes, fussent-ils des illuminés tel Adolf Hitler qui a failli conquérir l’Europe. Nous ne pouvons pas trouver de logique à une suite d’événements causés à la base par quelques individualités. Et par conséquent les sceptiques de penser qu’une politique sceptique, donc conservatrice, pourrait donner un sens à l’histoire car elle en retirerait les changements. Néanmoins si Merleau-Ponty affirme être opposé à l’idée d’une histoire « absurde » car, dans ce cas « il n’y aurait pas (…) d’histoire » puisque aucune cause logique ni lien ne serait trouvable entre les événements, il ne croit pas non plus à une histoire qui ne serait « que la réalisation visible d’un plan rationnel » étant donné que tout serait prédéterminé, donc toute action humaine pour en changer le cours serait inutile et l’on saurait immanquablement vers quoi nous allons, sans nous interroger sur les causes. Alors que l’histoire est justement une suite d’actions humaines. L’exemple le plus significatif en est probablement la croyance biblique d’un jour du Jugement dernier. Ce serait Dieu qui aurait créé le monde tel qu’il est, avec la nature, les animaux, la présence humaine etc, et ce serait donc lui qui déciderait à quelle heure et quel jour précisément il y mettrait fin. Il prononcerait alors à ce moment-là « sa parole définitive sur toute l’histoire, [les hommes] connaîtr[aient] le sens ultime de toute l’œuvre de la création et les chemins vers lesquels la Providence aura conduit toute chose vers sa fin ultime ». Et c’est Dieu qui déciderait que« Ceux qui auront fait le bien ressuscite[nt] pour la vie, ceux qui auront fait le mal pour la damnation ». C’est la fin de l’histoire puisque après cela, tout serait figé, les bons connaîtraient la vie éternelle et les pêcheurs la damnation éternelle. Dans une proportion moindre, Karl Marx défendait également l’idée d’une histoire rationnelle. Selon lui la révolution industrielle avait causé l’émergence de deux classes sociales dans les sociétés occidentales : la bourgeoisie (ceux qui commandent, les exploitants) et le prolétariat (ceux qui travaillent, les exploités). Cette situation inacceptable pour le prolétariat d’être condamnés à obéir aux bourgeois et vivre dans le besoin en travaillant toute leur vie en gagnant bien moins d’argent que ces derniers doit logiquement entraîner une révolte de leur part contre la classe bourgeoise qui les asservit. De par son évidente supériorité numérique, le prolétariat devrait en sortir vainqueur et ainsi demander l’abolition des privilèges pour la bourgeoisie, créant ainsi une société sans classes, ce qui serait la fin de l’histoire. En réfutant aussi bien une histoire dépourvue de sens qu’une histoire rationnelle où toutes les actions ont un sens en vue d’une fin, Merleau-Ponty prend une position intermédiaire entre ces deux points de vue, et entend bien appliquer cela à la politique. Ainsi, comme les sceptiques, il estime que « notre seul recours est dans une lecture du présent aussi complète et fidèle que possible, qui n’en préjuge pas le sens », ce qui témoigne d’un souhait d’objectivité puisque sans préjugés, mais peut aussi aller à l’encontre de la pensée sceptique qu’il a décrite, étant donné que dans ces préjugés on peut voir le postulat sceptique cité plus haut dans le texte, qui ne veut justement trouver aucun sens à l’histoire et aux faits. Mais là où Merleau-Ponty se démarque bien plus nettement du scepticisme, c’est en disant que la lecture du présent doit « reconnaî[tre] le chaos et le non-sens là où ils se trouvent mais, ne refuse pas de discerner en lui une direction et une idée, là où elles se manifestent . ». Bien qu’il reconnaisse un certain chaos dans ces faits, il faudrait y trouver une philosophie de l’histoire, une « direction » comme il le dit. Contrairement aux sceptiques, il croit donc en une philosophie de l’histoire, car non seulement nous ne pouvons pas y échapper mais en plus il est nécessaire qu’elle nourrisse toute politique, puisque basée sur une lecture des faits. Il reconnaît aussi bien l’absurdité que la rationalité de l’histoire, puisque il estime que l’on peut voir de l’absurdité se dégager une idée, une direction qui se rapporte donc à la rationalité. Nous pouvons voir cela dans l’histoire du XXè siècle, avec les totalitarismes et la Seconde guerre mondiale qui représentent en quelque sorte l’apogée de la bêtise humaine. Des gens ont adhéré à un parti qui se voulait antisémite et a organisé le génocide le plus abominable et le plus massif de l’histoire, des millions de civils tués de plein gré alors que les guerres par définition sont censées opposées des militaires entre eux, la première utilisation de la bombe nucléaire qui serait à même de détruire toute civilisation à la surface du globe. Les hommes ont cependant su tirer les enseignements de ces événements désastreux ; l’Organisation des Nations Unies fut créée juste après dans l’espoir de préserver la paix, et la guerre a pris une forme nouvelle, moins dévastatrice à travers la « guerre froide » que se sont livrés américains et soviétiques, un guerre où les deux antagonistes ne se sont jamais livrés à des combats directs, préférant une guerre d’intimidation sur fond de menace nucléaire et une course à la technologie....Il a démontré l’absurdité de la politique sceptique en mettant en évidence l’impossibilité pour tout être humain d’être parfaitement objectif, et donc la part de subjectivité évidente en chacun de nous. Cette subjectivité est propre à chaque homme, et nous y sommes tous « condamnés ». Cet adjectif employé par Merleau-Ponty revient à dire que nous ne sommes pas libres de notre subjectivité, qu’elle fait partie de nous que nous le voulions ou non. Et les choix inhérents à notre subjectivité alors, ne sont-ils pas également déterminés par les circonstances extérieures plutôt que le fruit d’une réflexion parfaitement objective ?

Chaque être humain, au cours de sa vie, est amené à faire des choix aux conséquences plus ou moins importantes, des choix déterminés par de nombreux facteurs. Ainsi serait-on tentés de dire que c’est notre caractère naturel qui nous pousse à faire certaines actions. Mais ce même caractère n’est-il pas lui-même le fruit d’un concours de circonstances qui a permis de le forger ? Car il est évident que celui qui aura grandi dans le besoin et la misère n’aura pas la même conception de la vie qu’un autre individu du même age qui aurait eu tout ce qu’il désire à disposition dès son plus jeune âge. Nous naissons tous identiques les uns aux autres, car à la naissance nous ne sommes pas encore capables de nous faire une opinion sur quoi que ce soit, nous n’avons pas de caractère particulier tout simplement parce que nous sommes incapables de penser. C’est en cela que notre caractère se forge dès l’enfance, qui est certainement la période la plus déterminante de notre vie puisque d’un être incapable d’émettre ni même d’avoir un avis sur quoi que ce soit, nous acquérons une personnalité qui nous est propre en devenant capable de penser. Mais il faut bien que cette aptitude à penser nous soit, si ce n’est enseignée, inculquée de façon plus ou moins indirecte par notre entourage. Car par exemple un enfant qui grandirait avec des animaux, sans aucune présence humaine autour de lui, calquerait son comportement sur celui des ces animaux tout naturellement, et donc n’aurait aucune forme de pensée humaine. Il suffit de voir par exemple le cas de Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron, qui se comportait de la même façon que les animaux sauvages qu’il avait certainement pu observer autour de lui ; rien dans ses attitudes n’indiquait une quelconque réflexion humaine, il ne savait même pas parler. Car le langage, en plus de nous permettre de nous exprimer, nous permet tout simplement de penser. Sinon comment pourrions-nous seulement construire un raisonnement sans pouvoir mettre des mots sur ce à quoi l’on pense ? La langue maternelle ne demande pas d’effort particulier pour être apprise, puisque nous l’acquérons à force d’entendre notre entourage l’utiliser, faculté qui disparaît dès que notre âge atteint quelques années, c’est un fait. Et si c’est le cas pour l’apprentissage de la langue, alors c’est aussi certainement le cas pour les premières pensées que l’on développe. De la même manière que nous acquérons le langage grâce à un certain mimétisme sur notre entourage, il est logique que nous calquions nos premières pensées sur notre entourage. N’ayant aucune notion de base pour s’opposer à leurs convictions, nous ne pouvons qu’y adhérer. C’est ainsi que se forgent les premières bases de notre caractère, puisque les manifestations d’un caractère sont justement les convictions que l’on exprime. En ce sens, la base de notre caractère n’est que le résultat de ce que nous avons vécu, et entendu dans les premières années de notre vie. Et c’est logiquement là que se forgent chacune de nos individualités puisque, même ayant vécu dans le même milieu, il est impossible d’avoir vécu les mêmes expériences successives, ni même d’être entouré et donc influencé par des personnes ayant les mêmes caractères trait pour trait. C’est donc dans un premier temps le milieu social, et d’une façon plus précise l’entourage proche, qui déterminent les bases du caractère d’un individu. Un enfant élevé dans un milieu bourgeois va, dès son plus jeune âge apprendre à parler avec la même aisance, le même vocabulaire que celui affiché par ses parents et cela posera les bases de son éducation. De même si ses parents se montrent particulièrement critiques envers une politique, l’enfant va obligatoirement adopter leur point de vue car n’ayant aucune notion dans ce domaine, il sera obligé d’accepter la véracité de ces propos. Enfin si par exemple son père est un grand râleur et sa mère particulièrement susceptible, il adoptera certains de ces traits de caractère, n’ayant aucun caractère de base et donc aucun recul nécessaire. Mais d’une façon plus générale, à bien plus grande échelle que le milieu social, c’est tout autant l’époque dans laquelle on vit qui détermine la personne que l’on est voué à devenir. Chaque époque impose ses normes, par exemple sous le règne de Louis XIV il n’est certainement venu à personne l’idée de se révolter contre leur souverain, de par une grande admiration pour lui et bien sûr la peur de la peine qui pourrait être infligée, le roi étant au-dessus de tout il peut exécuter les gens comme bon lui semble. Par conséquent les individus étaient naturellement soumis à l’autorité du roi, probablement aussi à toute forme d’autorité en général, et témoignaient reconnaissance envers lui. Alors que seulement 1 siècle plus tard sous le pouvoir de Louis XVI, l’autorité royale était contesté notamment grâce aux philosophes des Lumières qui ont fait preuve d’un grand sens critique à l’égard du pouvoir, ce qui a influencé les populations, et les a finalement exhortées à se révolter. Ainsi, contrairement à ce qui était le cas 100 ans plus tôt, les circonstances extérieures ont apporté aux individus un regard plus critique sur le pouvoir, et donc un esprit de rébellion, de révolte qu’ils ne connaissaient pas avant. C’est en cela que l ’époque et les circonstances extérieures qu’elle implique forge l’esprit des individus. Tous ces facteurs que sont le milieu social, l’entourage et l’époque dans laquelle on vit contribuent à l’affirmation de la personnalité des individus, ce qui fait de chacun d’entre nous un être unique, car toutes ces circonstances réunies ne peuvent pas coïncider et être identiques ne serait-ce que pour deux individus différents. Nous avons chacun une subjectivité qui nous est propre, et de là il paraît inconcevable d’imaginer pour n’importe qui de faire preuve d’une objectivité totale, objectivité qui ne soit remise en question par personne. Mais l’Histoire retient surtout, à l’image de la Révolution, des faits qui trouvent leur fondement dans une unité collective, une pensée et une action accomplies par un groupe de personnes. Car si chaque individu a une personnalité, et par conséquent des volontés qui lui sont propres, il trouve aussi des intérêts communs avec d’autres individus semblables, et de là s’affirme une forme de conscience collective.

Ce terme de « conscience collective » est défini par Émile Durkheim, premier sociologue moderne, dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), aux pages 632-634. Il y explique que la société, composée par les individus, est elle-même divisée en plusieurs groupes classés les uns par rapport aux autres. Cette classification est déterminée par le milieu social auquel chacun appartient. Ainsi des agriculteurs se côtoieront mutuellement bien plus naturellement qu’ils ne côtoieraient des étudiants par exemple. Ce sont deux différents groupes sociaux, car en raison de leur âge et des différentes éducations qu’ils ont pu recevoir, ils ne partageront probablement pas la même opinion sur différents sujets. Certes il n’y a pas de position prédéterminée que ce soit pour les agriculteurs ou pour les étudiants, chaque individu étant différent naturellement, mais on retrouvera dans ces groupes certaines idées générales. La cause, mais aussi la manifestation de chaque groupe social se traduit par la « portion déterminée d’espace » qu’ils occupent, et qui sont visibles à travers les différentes villes ou villages habités, les quartiers dans les grandes villes... Les individus d’un même groupe social se retrouvent, si ce n’est quotidiennement, régulièrement pour échanger et pratiquer des activités qui leur sont communes, à « des dates fixées, convenues et, par conséquent, [d’]un temps commun que tout le monde conçoit de la même façon » . C’est cette entente commune sur le temps passé ensemble, la coexistence dans un espace délimité et commun ainsi qu’un environnement d’éducation plus ou moins similaire, qui forment la « causalité collective » et expliquent les pensées communes que partage un même groupe social. Ils poursuivront ainsi une même fin, en s’entendant sur les moyens qui permettent de l’atteindre d’une façon collective, au-delà des possibles exigences individuelles. Par exemple un gouvernement décidera que, pour déterminer les mesures à mettre en place afin de régler le problème de la dette, il se réunira tel jour, de telle heure à telle heure, et qu’en cas de divergences trop prononcées sur la meilleure méthode à adopter, la décision se fera par vote à la majorité relative. Certains pourraient préférer une autre date de réunion mais viendront quand même le jour prévu dans l’intérêt de tous, tout comme d’autres pourraient s’opposer aux décisions prises par le groupe mais seront forcés d’y adhérer car cela aura été voulu par la majorité. C’est toujours l’intérêt collectif qui prévaut. Au-delà de la contingence individuelle, de la liberté de penser et d’agir dont chaque individu profite, qui pourrait aux premiers abords donner l’image d’une société désordonnée voire chaotique, on voit à travers la formation de différents groupes sociaux, plus causée par un déterminisme extérieur que par une volonté propre à chaque individu, l’émergence d’une « conscience collective » qui obéirait à une certaine forme de logique, donnant un véritable sens à leurs actions. Un sens reconnu par tous, en accord sur une fin commune et les moyens mis en place pour y parvenir, au nom du collectif. C’est en cela que l’on trouve une logique aux faits, guidés par un désir collectif et un accord commun sur la façon d’y arriver, et donc à l’histoire qui correspond à la succession logique de ces mêmes faits.

De la même manière qu’au-delà de l’anarchie individuelle apparente, on peut voir se former une certaine cohérence dans les intérêts communs des individus selon leur groupe social, la somme de ces groupes sociaux pourtant bien différents, que l’on peut dégager de toute époque, ramenés à l’échelle de l’humanité toute entière forme une unité et un déroulement logique de l’histoire. Une logique incertaine dans le présent, que l’on ne peut prévoir, mais pourtant bel et bien évidente quand on regarde l’histoire de l’humanité d’une façon générale et ses faits passés. C’est cette idée que Kant développe dans l’introduction de ce qu’il a appelé Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolite, en comparant les actions humaines à des événements naturels, indubitables donc. Tout comme la nature connaît des « phénomènes météorologiques instables », les hommes ne suivent pas tous les même mouvement et certains vont même à contre-courant, chacun ayant sa volonté propre. Cependant en regardant tout cela de façon plus globale, on s’aperçoit que l’histoire des hommes suit un cours naturel, un « fil conducteur » tout comme un ruisseau suivrait son cours de la façon la plus paisible qui soit. L’histoire, au lieu de relater de façon désordonnée et absurde ce que serait l’histoire de la vie des individus de façon particulière, aborde une vision beaucoup plus collective de l’ensemble de l’humanité et de cette façon elle nous apparaît comme une succession de faits dont le déroulement obéirait à une logique évidente. Cette histoire logique telle qu’elle nous est relatée nous apparaît donc comme telle, comme une suite de « phénomènes » puisque nous en sommes conscients. C’est l’histoire du passé. En revanche, l’histoire que nous sommes en train d’écrire, celle du présent et le futur qu’elle implique, est absolument imprévisible pour l’homme qui ne peut en anticiper la logique. Selon Kant cependant, ces faits présents obéissent toujours à un déroulement voulu par la nature, que nous suivons sans même nous en rendre compte. Ce sont les « noumènes », indépendants de notre conscience et appartenant à une logique qui nous dépasse à laquelle nous sommes soumis. L’histoire humaine ne suit donc pas un plan concerté à l’avance, mais un plan inconscient dont nous ne pouvons découvrir les rouages qu’après-coup. Lorsque des décisions politiques sont prises, elles ne le sont pas pour suivre un quelconque déroulement logique de l’histoire mais simplement car ces décisions ont été jugées comme les plus bénéfiques au regard des seuls faits présents. Cependant lorsque nous les regarderons avec le recul historique nécessaire, elles nous paraîtrons évidentes, comme la suite d’un déroulement rationnel et l’on a du mal à imaginer autre cas de figure alors même que dans bien des cas elles n’auront pas été faciles à prendre, et encore moins indiscutables sur le moment présent. Alors que nous avons l’illusion d’être libres, que chacune de nos décisions peut changer le cours de l’histoire, nous ne faisons qu’obéir à des « lois naturelles » qui régissent nos actions de sorte à ce qu’elles suivent le déroulement rationnel de l’histoire. Ainsi quand les Français firent la Révolution de 1789 et tranchèrent d’un accord commun la tête de leur roi Louis XVI, ils pensaient certainement changer le cours de l’histoire et entraîner un bouleversement en étant l’un des premiers pays à se révolter contre son souverain. Ce fut certes un tournant majeur dans l’histoire du monde, mais cela paraît aujourd’hui comme un événement destiné à aboutir à un moment ou l’autre, d’une façon ou d’une autre comme cela avait déjà été le cas en Angleterre par exemple et comme d’autres pays ont suivi, car il nous paraît aujourd’hui de façon univoque qu’il est scandaleux qu’une seule personne gouverne un pays selon son bon vouloir, selon la croyance naïve qu’il est destiné « naturellement » à gouverner en raison de son nom. De là il est évident que la population était vouée à se révolter, et si cela n’avait pas été en 1789, ce se serait produit plus tard fort logiquement. Et c’est encore plus flagrant lorsque l’on considère qu’aujourd’hui aucun roi ou reine n’a le pouvoir d’un pays, les rares monarchies qui se sont maintenues sont plus symbolique que véritablement autoritaire, le pouvoir décisionnel appartenant avant tout au Parlement et au Premier ministre puisqu’il est question de monarchies parlementaires. Et ceux qui ont pris le pouvoir par la force en s’autoproclamant unique chef d’État et revendiquant tous les pouvoirs comme les eurent les rois auparavant, notamment dans les pays en difficulté, sont dénoncés par la communauté internationale, et dès qu’elle en a la possibilité la population se soulève comme ce fut le cas lors du récent « Printemps arabe ». La Révolution française n’est donc pas un bouleversement ou changement imprévu du cours de l’histoire, mais au contraire un acte fondateur, irrémédiable, qui a permis par la suite un progrès cohérent sur la façon de gouverner un pays, de façon à ce qu’aujourd’hui la république soit un modèle adopté par une grande majorité des États du monde. Elle était vouée à réussir dans la logique des choses, une logique que l’on ne peut percevoir sur le moment mais qui nous apparaît comme évidente dès que l’on possède le recul nécessaire sur les faits. De la même manière dans le présent nous pouvons faire des choix dont nous ne voyons les conséquences - parfois minimes – que sur notre vie présente sans aucune considération pour le futur, et avons l’impression, justifiée, que ce choix ne dépend que de notre libre-arbitre, que nous sommes libres de choisir. Cependant nous obéissons inconsciemment dans chacun de nos choix aux « lois universelles de la nature », ce que nous ne voyons que plus tard en constatant l’ineptie qu’aurait constitué un choix alternatif et, au contraire, la causalité et la continuité évidentes que représentent le choix effectué. C’est ainsi que se serait construite l’histoire de l’humanité, non guidée par la volonté des hommes qui auraient à chaque fois décidé au fil du temps de la meilleure voie à prendre, de la meilleure politique à adopter avec les responsabilités que cela implique, mais dans l’idée que ces choix auraient été déjà prédéfinis par différentes causes afin de poursuivre une continuité logique, une continuité que l’on pourrait qualifier de « loi naturelle » que nous suivons sans en être conscients dans le présent et dont les phénomènes nous apparaissent clairement dès que l’on regarde le passé dans sa globalité, avec le recul que cela impose. L’histoire est une évolution perpétuelle vers l’idée d’un progrès qui se ferait étape par étape mais qui ne serait jamais arrêté, suivant un « fil conducteur » impalpable au moment des faits, dont on ne voit clairement les contours qu’après-coup. En cela elle représente une continuité de faits se succédant de façon logique, c’est la rationalité de l’histoire. Et si elle n’a pas de fin en soi, on pourrait y voir l’espoir d’une progression en vue d’un monde en paix, d’où les conflictualités – aujourd’hui nombreuses – entre les États ou les différents peuples ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Les premières avancées vers cette idée ont déjà eu lieu, d’une part avec la création de la SDN après la Première Guerre mondiale, étant censée garantir la paix entre les peuples, puis à plus grande échelle celle de l’ONU après la Seconde Guerre mondiale, qui a su tirer les leçons de l’échec de la SDN, puisque aucun conflit de cette ampleur n’a encore éclaté jusqu’à aujourd’hui, près de 70 ans après sa création. Peut-être pouvons-nous espérer que ce ne sont que les premières étapes vers une paix internationale et que d’autres suivront irrémédiablement, mais cela il nous est impossible de le deviner...

Merleau-Ponty ne croyait pas en la possibilité de la réalisation d’une politique sceptique, puisque se voulant par définition parfaitement objective, elle échapperait à toute réalité. En effet le constat est simple : comment prôner une objectivité à toute épreuve alors même qu’on a des décisions à prendre et qu’elles sont basées sur un tri implicite de l’importance des faits ? De là, impossible d’échapper à toute forme de subjectivité. Et au niveau politique, cette subjectivité est surtout marquée par la philosophie de l’histoire, indispensable pour toute mise en perspective, et par laquelle nous sommes influencés que nous le voulions ou non quand il s’agit de baser nos décisions sur les faits, présents ou passés. Merleau-Ponty distingue ainsi 3 philosophies de l’histoire : une histoire absurde, dépourvue de sens telle que la voient les sceptiques, une histoire qui ne serait que la réalisation visible d’un plan rationnel, théorie à laquelle il s’oppose également car il voit en l’histoire de nombreuses absurdités, mais des absurdités en lesquelles on peut trouver un sens et une direction. Théorie n’étant ni partagée par Merleau-Ponty ni par les sceptiques, l’idée d’une histoire rationnelle semble pourtant largement défendable au vu de la progression perpétuelle de l’humanité dans son ensemble, du premier australopithèque jusqu’à notre civilisation actuelle, ainsi que la logique évidente qui se dégage de la succession des faits dans l ’histoire, faits auxquels on peut toujours rattacher au moins une cause irréfutable, même à ceux qui peuvent paraître comme les plus absurdes. Cependant, quoi qu’on en pense, il est clairement impossible de dissocier ses décisions et actes de toute philosophie de l’histoire. Car, tous autant que nous sommes, avons au moins une culture historique de base, et de là il est impossible de ne pas porter d’avis, ne serait-ce qu’implicite, sur ces faits. Notre condition d’hommes nous pousse à penser quelque chose sur tout, l’être humain étant le seul être vivant capable d’exercer sa raison et par là même de manifester une subjectivité qui lui est propre. Et cette conscience ne peut pas être objective puisqu’elle est conditionnée par les expériences propres à chacun de nous, celles-là qui nous rendent tous différents les uns des autres, tous des individus uniques. C’est pourquoi nous ne pouvons être uniformément objectifs, chacun développant sa propre subjectivité, qu’il le veuille ou non. De même il appartient aux sceptiques de voir en l’histoire une succession de faits absurdes, et c’est là un avis qu’ils partagent entre eux mais auquel tout le monde ne croira pas de façon objective. C’est une philosophie de l’histoire possible, subjective par définition et qui s’oppose donc à leur volonté d’objectivité. En niant toute philosophie de l’histoire, on en développe par conséquent une autre. Aussi peut-on affirmer que toute politique, dans la réflexion comme dans la décision, est forcément soumise à la philosophie de l’histoire.