La matière provoque et rend possible l’effort.

13 août 2003

Introduction

Ce texte de Bergson (La matière provoque et rend possible l’effort.) se rapporte au thème de la technique, comprise comme le rapport qu’entretient l’homme au réel - c’est-à-dire à la matière - dans le but de la transformer. Il s’agit même ici de l’interaction entre l’homme et ce réel. Selon l’auteur, la confrontation avec la matière grandit l’homme en le poussant à se dépasser. Le texte peut se diviser en trois parties : dans une première partie l’auteur montre, en utilisant notamment l’exemple de l’art, que sans matière il ne peut y avoir d’effort. Or, nous explique-t-il dans une deuxième partie , c’est cet effort qui grandit l’homme. Enfin, Bergson explique par quels mécanismes la matière rend nécessaire l’effort, et pousse ainsi l’homme à se grandir. Le problème des relations homme-matière est ainsi mis en évidence dans le texte : la matière, qui le fait vivre, semble pourtant être un obstacle pour l’homme, mais c’est de cette façon qu’elle lui est bénéfique. Ceci peut mener à un enjeu éthique quant aux places de la technique et de la vie spirituelle dans la vie de l’homme. Finalement, que peut donc nous apporter la confrontation avec la matière ?

I/ ETUDE ORDONNEE

Dans la première phrase du texte, Bergson annonce que "la matière provoque et rend possible l’effort". Ceci constitue une partie de sa thèse, et sera démontré à la fin du texte, mais on se rend déjà compte que la matière est ici perçue à la fois comme cause à l’origine de l’effort et comme moyen de sa réalisation. L’auteur s’attache tout d’abord à montrer, ce qui n’est pas tout à fait équivalent, que tant que l’homme ne s’est pas heurté à la matière, on ne peut pas parler d’effort. L’effort, c’est la mobilisation par un sujet de son énergie, afin d’atteindre un objectif.
On voit tout d’abord que si l’objectif "allait de soi" , si la dépense d’énergie de la part du sujet n’était pas absolument nécessaire, il n’y aurait pas d’effort de celui-ci. Il faut donc, pour pouvoir parler d’effort, qu’il y ait une résistance empêchant la réalisation de l’objectif sans l’énergie apportée par le sujet. L’effort consiste donc à vaincre cette résistance, à surmonter une difficulté. Il ne peut donc s’agir que d’un acte conscient que l’homme est amené à produire par sa volonté. Notons que la résistance peut être extérieure, lorsqu’il s’agit par exemple de produire une force susceptible de compenser une force physique (comme lorsqu’il faut soulever un objet pesant), mais qu’elle peut également être interne au sujet (ainsi on doit faire un effort de mémoire pour retrouver un souvenir qui n’apparaît pas immédiatement à la conscience).
D’autre part, l’effort sur la matière n’est pas forcément un effort physique, mais il peut être aussi intellectuel : c’est ce dernier effort que fournit l’ingénieur qui cherche à vaincre théoriquement et a priori la résistance de la matière. Cette matière est l’ensemble des éléments naturels qui sont soumis à des forces régies par les lois physiques. On peut donc l’assimiler, au niveau humain, à la réalité du monde extérieur. Ce sont généralement ces forces physiques qui constituent la résistance que l’homme s’efforce de surmonter.
C’est pourquoi seule la matière peut provoquer un effort de la part du sujet. Bergson identifie ici l’"effort" et la "peine". En effet nous venons de voir que l’effort conduit à une dépense d’énergie. Or on peut penser avec Spinoza que "chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans l’existence". En effet on remarque que les être vivants par exemple tendent tous à rester les mêmes, c’est-à-dire à conserver l’équilibre de leur milieu extérieur (l’homéothermie, la cicatrisation pour certains, la nutritions pour tous, sont autant de moyens utilisés par le vivant pour préserver le milieu interne précédant). Mais cet équilibre doit aussi être un équilibre énergétique, et chaque être vivant tend naturellement à conserver son énergie. Cette énergie n’étant pas illimitée, et étant indispensable à la vie, l’être vivant qui dépense son énergie voit donc diminuer les possibilité d’expression du conatus (qui est cette tendance à persévérer dans l’existence). Dans cette mesure, on peut dire que l’effort provoque un sentiment que l’on peut nommer "tristesse" , et qui peut être associé à la "peine". D’après tout ceci, on comprend que "la pensée qui n’est que pensée" ne coûte pas de la peine, car elle ne demande pas d’apport d’énergie, car il n’y a pas de résistance à ce que cette pensée vienne à l’esprit. En effet, une pensée peut apparaître à la conscience sans que le sujet en ait exprimé la volonté. Cette opération, due probablement à des associations d’émotions, ne demande pas bien sûr de dépense d’énergie physique. Elle ne demande pas non plus de dépense d’énergie intellectuelle, car lorsque cette énergie est utilisée, la pensée n’est plus seulement pensée, mais réfléchie, transformée, organisée. De même, "l’oeuvre d’art qui n’est que conçue" est à l’artiste un ensemble de sensations (visuelles, auditives, voire tactiles) mêlées de sentiments. Comme dans le cas de la pensée, l’artiste qui n’a pas encore été confronté à la matière et à sa résistance due à ses propriétés physiques, n’a pas produit d’effort. Il en va de même pour le poème. L’auteur utilise pour ce dernier exemple le verbe rêver qui montre bien qu’il ne s’agit pas d’un acte volontaire mais d’un état - la rêverie -.
Par contre il faut produire un effort pour transformer le réel afin de le rendre conforme à la pensée ou l’image mentale, pour donner à la matière une forme se rapprochant de celle qui a été rêvée, ce que Bergson nomme la "réalisation matérielle". En effet cette réalisation ne se fait pas spontanément sans intervention humaine, et la matière offre même une certaine résistance, ce qui sera repris plus tard dans le texte, et justifié à cette occasion.

Le texte montre ensuite les avantages de l’effort. Certes, "l’effort est pénible", car il nous oblige à nous affaiblir en dépensant de l’énergie. Toutefois, on doit aussi en voir les aspects profitables. Tout d’abord cet effort, et lui seul, permet la réalisation matérielle de la pensée ou de l’image, c’est-à-dire qu’il permet à l’esprit humain de produire des objets issus de lui-même dans la réalité : il permet à l’homme de produire une oeuvre. Mais ce n’est pas seulement pour cela que l’effort est "précieux". L’oeuvre est en quelque sorte un produit de l’effort, mais l’effort est également précieux en lui-même indépendamment de l’oeuvre. On a vu en effet que l’effort va en l’encontre de la tendance naturelle. Produire un effort, c’est donc refuser de se laisser déterminer nécessairement par sa nature. De plus, la réalisation matérielle de l’oeuvre en question a demandé auparavant la représentation de l’objectif à atteindre - à savoir cette réalisation matérielle - ainsi que la représentation des moyens qui doivent être mis en oeuvre pour parvenir à cette fin. De cette façon, l’homme se distingue des autres animaux par son travail, qui n’est autre que l’usage conscient de son énergie dans le but de produire l’oeuvre utile. L’homme se détermine donc non pas par sa constitution naturelle comme les autres animaux, mais par la fin qu’il se représente. Comme l’effort pour y parvenir est pénible, il faut que l’homme soumette ses tendances naturelles aux injonctions de son esprit ou de sa raison. Il se fixe donc des lois qu’il place au-dessus des lois naturelles. De cette façon, lorsque par son effort il obéit à ces injonctions qu’il s’est lui-même fixées, l’homme se place au-dessus des autres êtres vivants, et donc au-dessus de lui-même en tant qu’être naturel, il se situe au-dessus de la nature : Bergson affirme que l’homme s’est ainsi "haussé au-dessus de [lui]-même". De cela vient en partie la dignité de l’homme.

L’explication vient surtout dans la dernière partie du texte, dans laquelle l’auteur met en évidence les mécanismes par lesquels la matière et l’effort parviennent à donner à l’homme cette dignité.
Bergson souligne tout d’abord la résistance qu’offre la matière à l’action de l’homme sur elle. En effet le principe d’homéostasie énoncé à propos des êtres vivants peut s’appliquer à la matière, donc même aussi aux corps inertes. Ainsi le principe de l’inertie stipule que chaque corps conserve l’état de mouvement ou de repos qui est le sien tant qu’aucune force extérieure ne vient le modifier. La loi de Lenz affirme même que le phénomène d’induction tend, par ses effets, à s’opposer aux causes qui lui ont donné naissance. La matière tend donc à offrir une résistance à l’action de l’homme. En ce sens elle peut être considérée comme un obstacle à la réalisation immédiate de l’oeuvre. On peut remarquer à ce propos que ce n’est pas tant la matière en elle-même qui présente un obstacle, que les lois par lesquelles elle est régie. Néanmoins ces lois ne peuvent pas apparaître à l’homme en dehors de la matière. Ce n’est que par la matière qu’elles peuvent se manifester. Il est donc naturel d’associer la matière à cet obstacle ou cette résistance. Mais d’un autre côté, l’oeuvre étant la réalisation matérielle - ou réelle - de la pensée, seule la matière peut permettre à l’homme de la produire. L’effort ne pouvant être fait que sur la matière, celle-ci est donc "l’instrument" de la dignité humaine que l’on a perçue. Ceci est permis par sa "docilité", car en effet la résistance de la matière n’est ni absolue ni invincible : sans les lois physiques, la matière n’est pas en elle-même résistante à l’action humaine. Une connaissance - théorique, empirique ou instinctive - de ces lois peut donc permettre de les utiliser au service de la fin qui est fixée. On peut ainsi, dans certaines limites, transformer la matière, la déformer, l’informer, de façon à obtenir une forme qui était impossible sans l’action de l’homme : ainsi la matière "garde l’empreinte" de l’action que l’homme à eu sur elle. Sans cette docilité, tous les efforts resteraient vains. Enfin, la matière ne peut jamais correspondre exactement à la pensée ou à l’image que l’on avait, car celles-ci sont imaginaires, alors que l’oeuvre matérielle est réelle. Elle ne peut donc que s’approcher plus ou moins de l’idée que l’on en avait. Ainsi l’objectif n’est jamais entièrement atteint. On peut toujours produire un effort plus important pour tenter de s’approcher plus de l’objectif initial. Dans cette mesure, la matière est bien un "stimulant" de l’action humaine. Finalement, on peut résumer en affirmant que la matière "éprouve notre force, en garde l’empreinte et en appelle l’intensification". La matière n’est pas pour l’homme un simple objet de soumission comme pourrait le faire penser l’apparente facilité avec laquelle on agit sur elle dans la vie de tous les jours. L’action ne se fait pas seulement de l’homme vers la matière, la matière agit également sur l’homme. Le réel n’est donc en quelque sorte pas si inerte, puisqu’il pousse l’homme à agir. Il n’y a donc pas seulement action, mais interaction, ou actions réciproques, entre l’homme et la matière. La technique peut être considérée dès lors comme la représentation de cette interaction.
C’est peut-être de la conscience de cette action que la matière exerce sur lui que vient la pathologie du héros de Sartre dans son roman la nausée. Roquentin se sent aggressé par les objets, et la matière en générale, il est angoissé et écoeuré de ne pas pouvoir dominer entièrement cette matière.

II/ INTERET PHILOSOPHIQUE

Ce texte de Bergson apporte en premier lieu des éléments au débat sur la nécessité de la confrontation à la matière. Dans la Grèce antique, la confrontation à la matière est considérée comme dégradante, et elle est par conséquent confiée aux esclaves. Les tâches nobles sont les tâches intellectuelles, en particulier les réflexions sur l’organisation politique des hommes - qui, comme on l’a vu, ne peuvent pas être mis au même niveau que la matière - ou les réflexions entièrement abstraites. L’art de la guerre n’y est pas la fabrication matérielle d’arme mais la stratégie intervenant sur des actions humaines, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas directement matériel. Cette vision a conduit, à travers les millénaires, certains hommes à penser que ce qui faîte la dignité de l’homme, c’est son esprit et lui seul, dans la mesure où, contrairement aux animaux, il n’est pas limité à l’appréhension du milieu et à la confrontation avec la matière, mais qu’il est capable d’imaginer des concepts entièrement immatériels (religieux par exemple), d’éprouver des sentiments et non pas seulement des sensations, en un mot de se détacher de la matière. Cette pensée peut être associée à une sorte d’ascétisme. La matière est méprisée, et l’homme doit s’élever et atteindre sa dignité en se débarrassant des soucis matériels. Dans cette optique, l’homme est au faîte de sa dignité lorsqu’il pense indépendamment de la matière qui l’entoure. C’est en effet seule cette pensée qui nous assure de notre existence affirme Descartes : "Cogito ergo sum". Toute perception de la matière passant par les sens, elle peut être rejetée en doute car on ne peut pas se fier à ses sens. L’homme peut par exemple penser en menant une réflexion philosophique, mathématique, en ayant une existence uniquement spirituelle ou religieuse, etc. Un tel comportement permet de se libérer des contraintes extérieures. En effet toute réalisation matérielle étant par nature imparfaite, elle ne peut que décevoir au regard de l’objectif qui était imaginé. Nous ne sommes donc pas entièrement maître de nos réalisations matérielles alors que nous pouvons l’être de nos pensées. On peut voir alors là une forme de liberté de l’individu considéré comme pur esprit.
Mais ce comportement conduit aussi à renoncer à transformer le réel, et empêche en outre le développement des techniques. Or Bergson nous montre dans ce texte que ce n’est pas en rejetant la matière que l’homme acquiert sa dignité, mais au contraire en s’y opposant, en agissant sur elle, car c’est l’effort que demande cette action qui permet à l’homme de s’élever au-dessus de sa condition. De plus, les hommes ne peuvent pas progresser si les pensées des individus qui ont précédé ne peuvent pas être transmises d’un façon ou d’une autre à ceux qui leur succèdent, car dans ce cas chacun devrait reprendre toute réflexion au point de départ sans pouvoir profiter des avancées qui ont été faites. Or, si l’on exclue, ce qui ne semble pas poser de problème, tout phénomène de communication directe entre plusieurs esprits (comme par exemple la télépathie), cette transmission ne peut s’effectuer que par la matière, que cette matière soit l’air ou autre chose. Tout système de communication, que ce soit la parole, l’écriture, ou des moyens mettant en oeuvre plus de technique, ne peut pas se passer de la matière. Refuser toute confrontation avec la matière, c’est donc refuser, du même coup, toute communication. Or un philosophe ou un mathématicien génial qui n’aurait fait que penser ou rêver, est inutile à tout autre que lui-même s’il a refusé de communiquer avec les autres. Il n’a pas dans ce cas pris en compte l’intérêt de l’humanité, mais seulement son propre intérêt qui était de ne pas produire d’effort.

En outre, la vision de Bergson permet elle aussi une certaine liberté - comprise à la fois comme autonomie et comme relative indépendance vis-à-vis des lois de la nature -, et l’humanisation du monde, comme réalisation de la conscience.
Le second principe de la thermodynamique affirme que l’énergie de l’Univers tend vers une entropie maximale, vers un nivellement, cette énergie s’écoulant inexorablement des sources chaudes vers les sources froides. Par conséquent, la matière à elle aussi tendance à se disperser, c’est-à-dire à perdre sa forme. L’action humaine va donc consister à rassembler la matière pour lui donner une forme, pour l’organiser, donc pour l’unifier. Bergson affirme ainsi que "la vie remonte la pente que la nature descend". Or unifier c’est le propre de la conscience. C’est donc en tant que conscient que l’être humain produit de nouvelles formes matérielles, car seule la conscience peut introduire dans le donné multiple des formes qui n’existaient pas auparavant. L’homme qui accomplit une telle action se distingue donc lui aussi par cette action des autres être vivants, il s’élève au-dessus d’eux car il prouve sa conscience, qui lui confère sa dignité. La technique permet donc à l’homme de construire un monde artificiel, qui n’est plus pour lui une extériorité radicale car l’esprit s’y trouve "chez lui", entouré d’objets issus de lui-même : la conscience trouve d’une certaine façon une image d’elle-même dans le réel.
En second lieu, si la technique trouve son origine dans la lutte entre les forces de la matière et la force humaine, elle permet finalement de faire disparaître cette lutte au profit de l’homme, ou au moins de l’atténuer. Prenons l’exemple du domaine agricole. L’homme est au départ entièrement assujetti aux aléas de la nature dont il tire sa nourriture, étant donc limité à ce que produit naturellement la terre. Au début de l’agriculture, il franchit un pas énorme vers son indépendance, étant capable de produire lui-même ce qui est désiré à l’endroit où il le faut. Cependant sa production reste soumise aux lois naturelles (par exemple au climat). De nos jours l’homme est en passe de pouvoir en théorie s’affranchir presque entièrement de ces lois car il peut produire l’espèce désirée (et même en créer qui n’existaient pas dans la nature) dans les conditions qu’il souhaite car il produit également ces conditions. Même la terre n’est plus indispensable car l’homme synthétise artificiellement les produits permettant la croissance des végétaux ainsi cultivés. On voit bien là que les progrès techniques permettent, de génération en génération, une indépendance toujours plus grande à l’égard de la nature.
Enfin Hegel nous a montré, dans la phénoménologie de l’esprit, que le travail, qui n’est autre que l’action accomplie grâce à l’effort, n’est pas spontané chez un individu naturel. Il faut donc penser que celui qui l’effectue est le perdant d’une lutte à mort visant à soumettre l’autre pour le faire travailler : il s’est laissé dominé car il s’est soumis à son instinct de conservation. Pour travailler, l’esclave, car c’est ainsi qu’il est nommé, doit soumettre ses impulsions aux buts conscients qu’il se prescrit. Ne se soumettant plus qu’à ses propres lois, et non plus aux lois naturelles qui déterminent les animaux, l’esclave se fait ainsi "l’homme de l’homme" pour reprendre l’expression de Rousseau : en soumettant son action aux lois prescrites par son esprit et son instinct de conservation à ses buts conscient, l’homme acquiert son autonomie.

L’exemple de l’art est également représentatif de l’intérêt de la confrontation avec la matière, le réel.
En effet, c’est cette action sur la matière qui permet de distinguer l’art de l’imagination, et qui permet en fin de compte d’éviter à un sujet d’être atteint de névrose.
Si l’on considère comme nécessaire l’hypothèse de l’inconscient, et que l’on accepte la description de l’appareil psychique présenté par Freud, on se rend compte que la libido, principale force psychique, recherche par nature (c’est une pulsion) sa satisfaction. Mais cette satisfaction ne peut pas se faire immédiatement, car elle se heurte à la contrainte du réel qui ne permet pas cette satisfaction immédiate. Elle est alors dans un premier temps refoulée dans l’inconscient par l’instance de censure, mais, dans un processus normal, elle trouve par la suite d’autres voies de satisfaction réelle grâce à sa plasticité. En effet, si par son dynamisme la pulsion tend à combler un manque, l’objet qui satisfera ce manque n’est pas donné à l’avance, et la pulsion peut donc changer d’objet - et devenir de cette façon acceptable pour l’instance de censure. Toutefois, il arrive chez certains individus que l’instance de censure soit trop sévère, ou que la pulsion soit trop peu plastique. Le résultat est alors qu’il n’y a plus pour la pulsion aucun espoir de satisfaction dans le réel.
Deux voies sont alors possible pour un tel individu, qui diffèrent l’une de l’autre par leur rapport au réel et à la matière. Ainsi une première voie de substitution peut être l’imagination. Celle-ci peut être pensée comme un refuge pour la pulsion qui semble s’y satisfaire. C’est la formation d’un symptôme. Mais ce que l’imagination rend présent, ce ne sont jamais que des images mentales. La satisfaction proposée n’est donc elle-même qu’imaginaire. Ce n’est donc bien qu’un substitution à la satisfaction réelle que le réel refuse. Ce n’est pas une réelle satisfaction. Donc la pulsion continue toujours à vouloir être satisfaite, ce qui entraîne un enfermement dans l’imaginaire.
L’autre voie de résolution des conflits entre les pulsions et l’instance de censure est la sublimation, c’est-à-dire l’élévation des pulsions vers des objets plus intellectuels, comme l’art. Dans le cadre du refoulement, l’artiste est celui qui est capable d’éviter la névrose en produisant un objet réel. Sans se réfugier dans son imaginaire, il rend réels les produits de son imagination. Cette capacité est due à sa force psychique, mais aussi à sa compétence, c’est-à-dire sa faculté à utiliser et transformer la matière donnée pour lui donner une forme proche de ce qu’il a imaginé. Nous venons justement de voir que ceci est la technique.
Dans son texte, Bergson montre que ce qui fait la différence entre "l’oeuvre d’art qui n’est que conçue" ou "le poème qui n’est que rêvé", et la "conception artistique", c’est que la dernière demande un effort car elle ne peut s’effectuer, contrairement aux deux premiers, sans se heurter à la matière. Le rôle de la matière à la fois comme obstacle - il faut un savoir technique important, et donner de son énergie, pour parvenir à lui donner la forme souhaitée - et comme instrument est particulièrement visible dans l’art (on peut prendre l’exemple de la sculpture).

Conclusion

Que nous apporte donc l’effort réalisé sur la matière ? L’étude du texte permet de voir que ce que nous apporte cet effort, c’est notre dignité d’être humain. En effet, contrairement aux autres êtres vivants, l’homme est seul capable de réaliser un effort, car l’effort présuppose la conscience. Par cet effort, l’homme montre qu’il peut s’élever au-dessus des lois naturelles en se fixant lui-même des lois. Il peut en outre informer le réel donné en lui imprimant la marque de sa conscience. Enfin, l’artiste prouve que cet effort n’est pas réalisé seulement dans un but utilitaire permettant la survie, mais que donner forme à la matière peut aussi faire partie d’activité intellectuelles supérieure dont seul l’homme est capable.

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