Chapitre II
Ce que Dieu est.
(1) Après avoir démontré précédemment que Dieu est, il est temps maintenant de faire voir ce qu’il est. Il est, disons-nous, un être duquel tout, ou des attributs infinis sont affirmés [1], attributs dont chacun est en son genre infiniment parfait.
(2) Pour exprimer clairement notre pensée sur ce point, nous devons énoncer d’abord les quatre propositions suivantes :
1. Aucune substance finie n’existe, mais chaque substance doit être en son genre infiniment parfaite, c’est-à-dire que, dans l’entendement infini de Dieu, il ne peut y avoir de substance plus parfaite que celle qui existe déjà dans la nature [2].
2. Il n’existe pas deux substances égales.
3. L’une [substance] ne peut produire l’autre.
4. Il n’existe dans l’entendement infini de Dieu aucune substance qui ne soit formellement dans la Nature.
(3) Pour ce qui concerne la première proposition, à savoir qu’il n’existe aucune substance limitée, si quelqu’un voulait soutenir le contraire, nous lui demandons si cette substance est donc limitée par elle-même, c’est-à-dire si elle s’est ainsi limitée et n’a pas voulu se faire plus illimitée, ou si elle est ainsi limitée par sa cause qui, ou bien n’a pas pu, ou bien n’a pas voulu lui donner davantage.
(4) Le premier n’est pas vrai parce qu’il n’est pas possible qu’une substance ait voulu se limiter et particulièrement une substance qui existe par elle-même ; je dis donc qu’elle est limitée par sa cause, qui est nécessairement Dieu.
(5) Si maintenant elle est limitée par sa cause, ce doit être ou bien parce que cette cause n’a pas pu donner davantage ou parce qu’elle ne l’a pas voulu. Qu’il [Dieu] n’ait pu donner davantage, répugne à sa toute-puissance [3] ; qu’il n’aurait pas voulu donner davantage, bien que le pouvant, a un goût de malveillance qui ne peut être en aucune façon en Dieu, lequel est fout bonté et plénitude.
(6) Concernant la deuxième proposition : qu’il n’existe pas deux substances qui soient égales, nous en tirons la démonstration de ce que chaque substance est parfaite en son genre ; car si deux substances égales existaient, l’une devrait nécessairement limiter l’autre et ne pourrait par suite pas être infinie, comme nous l’avons démontré auparavant.
(7) Pour ce qui concerne la troisième proposition, à savoir que l’une ne peut produire l’autre, si quelqu’un voulait soutenir le contraire nous lui demandons : si la cause qui devrait produire cette substance a les mêmes attributs que la substance produite ou ne les a pas ?
(8) Le second ne peut être, car du néant ne peut sortir quelque chose. Soit donc le premier. Nous demandons alors : si, dans la substance [***] qui devrait être cause de celle qui est produite, il y a autant de perfection ou s’il y en a moins ou plus que dans celle qui est produite. Il ne peut y en avoir moins pour les raisons déjà données. Plus, pas davantage : parce qu’en ce cas cette deuxième substance devrait être limitée, ce qui répugne à ce que nous avons déjà démontré. Il y en aura donc autant et ainsi elles seront égales, ce qui manifestement répugne à notre précédente démonstration.
(9) En outre, ce qui est créé n’est en aucune façon sorti du Néant, mais doit nécessairement être créé par un être existant ; mais que de ce dernier quelque chose ait pu sortir et qu’il ne possède pas moins ce quelque chose après qu’il est sorti de lui, nous ne pouvons le concevoir avec notre entendement.
(10) Enfin, si nous voulons chercher la cause de la substance qui est le principe des choses naissant de son attribut, nous aurons alors à chercher aussi la cause de cette cause, puis la cause de cette nouvelle cause et ainsi à l’infini, de sorte que, si nous devons nécessairement nous arrêter quelque part, comme nous le devons, il est nécessaire de nous arrêter à cette substance unique [****].
(11) Pour la quatrième proposition : Il n’y a dans l’entendement divin d’autre substance ni d’autres attributs que ceux qui existent formellement dans la Nature, nous pouvons la démontrer et la démontrons :
1° Par la puissance infinie de Dieu, attendu qu’il n’y a et ne peut y avoir en lui aucune cause par laquelle il pourrait être mû à créer l’un plus tôt ou plus que l’autre ;
2° Par la simplicité de sa volonté ;
3° Par cette raison qu’il ne peut omettre de faire ce qui est bon, comme nous le démontrerons ci-après ;
4° Parce qu’il est impossible que ce qui n’est pas actuellement puisse venir à être, attendu qu’une substance ne peut en produire une autre. Et qui plus est : en cas que cela eût lieu, il y aurait infiniment plus de substances non existantes que d’existantes, ce qui serait absurde [*****].
(12) De tout cela il suit que de la Nature tout est affirmé du tout et qu’ainsi la Nature se compose d’attributs infinis dont chacun en son genre est parfait. Ce qui concorde parfaitement avec la définition qu’on donne de Dieu.
(13) Contre ce que nous venons de dire, à savoir qu’aucune chose n’est dans l’entendement infini de Dieu que comme elle est formellement dans la nature, quelques-uns veulent argumenter de cette façon : Si Dieu a tout créé il ne peut plus rien créer. Mais qu’il ne puisse plus rien créer répugne à sa toute-puissance.
Donc :
(14) Pour ce qui touche le premier point, nous accordons que Dieu ne peut plus rien créer. Et quant au second nous disons reconnaître que, si Dieu ne pouvait pas créer tout ce qui est créable, cela répugnerait à sa toute-puissance, mais non du tout de ne pouvoir pas créer ce qui en soi répugne, comme il répugne de dire qu’il a tout créé et que cependant il pourrait créer encore davantage. Certes, c’est une bien plus grande perfection en Dieu, d’avoir créé tout ce qui était dans son entendement infini, que s’il ne l’avait pas fait et, comme ils disent, ne dût jamais l’avoir pu faire.
(15) Mais pourquoi tant parler à ce sujet ? Ne raisonnent-ils pas eux-mêmes ou ne doivent-ils pas raisonner ainsi ? Si Dieu est omniscient, il ne peut rien savoir de plus, mais, que Dieu ne puisse rien savoir de plus, répugne à sa perfection.
Donc :
Si cependant Dieu a tout dans son entendement et, à cause de son infinie perfection, ne peut rien savoir de plus, pourquoi ne pouvons-nous dire aussi qu’il a produit tout ce qui est dans son entendement et a fait que cela est ou sera formellement dans la nature ?
(16) Puis donc que nous savons que tout est pareillement dans l’entendement infini de Dieu, et qu’il n’y a aucune cause pour qu’il ait dû créer ceci avant cela ou plus que cela, et qu’il pourrait avoir tout produit en un instant, voyons donc si nous ne pouvons pas nous servir contre eux des mêmes armes qu’ils emploient contre nous, savoir :
Si Dieu ne peut jamais tant créer qu’il ne puisse créer davantage il ne peut jamais créer ce qu’il peut créer.
Mais, qu’il ne puisse pas créer ne qu’il peut créer, cela est contradictoire.
Donc :
(17) [******] Les raisons dès lors pour lesquelles nous avons dit que tous ces attributs qui sont dans la nature ne forment qu’un seul être et non, parce que nous pouvons les concevoir clairement et distinctement l’un sans l’autre, des êtres distincts, sont les suivantes.
1° Que nous avons déjà trouvé précédemment qu’il doit exister un être infini et parfait, par quoi on ne peut entendre autre chose qu’un être duquel tout doit être affirmé du tout. Car, à un être qui a une certaine essence, des attributs doivent appartenir et, plus on lui reconnaît d’essence plus on doit lui reconnaître d’attributs, et par suite, si cet être est infini, ces attributs aussi doivent être infinis et c’est précisément là ce que nous appelons un être parfait [B : infini].
2° L’Unité que nous voyons partout dans la nature ; or, si dans la nature existaient des êtres distincts [4], il serait impossible que l’un s’unît à l’autre.
3° Qu’en dépit de ce qu’une substance ne peut, nous l’avons vu, en produire une autre, et de ce qu’il est impossible à une substance qui n’est pas, de commencer d’être, nous voyons cependant qu’en aucune substance conçue comme existant à part (et que nous sommes certains cependant qui existe dans la Nature), il n’y a de nécessité d’exister attendu qu’à son essence particulière aucune existence n’appartient [5]. Il suit de là nécessairement que la Nature, qui ne provient d’aucune cause, et que nous savons néanmoins qui existe, doit être nécessairement un être parfait auquel appartient l’existence.
(18) De tout ce que nous avons dit jusqu’ici il appert avec évidence que nous affirmons que l’étendue est un attribut de Dieu, ce qui cependant ne semble en aucune façon pouvoir convenir à un être parfait, car, l’étendue étant divisible, l’être parfait se trouverait ainsi formé de parties, ce qui ne saurait du tout s’appliquer à Dieu, parce qu’il est un être simple. En outre, quand l’étendue est divisée, elle pâtit, et cela aussi ne peut avoir lieu en Dieu, car il n’est point sujet à pâtir et ne peut rien avoir à pâtir d’un autre être, puisqu’il est de tout la première cause efficiente.
(19) Nous répondons à cela :
1° Que le tout et la partie ne sont pas des êtres réels, mais seulement des êtres de raison et que par suite il n’y a dans la Nature [6] ni tout ni parties.
2° Qu’une chose qui est composée de différentes parties doit être telle que ses parties prises en elles-mêmes puissent être pensées et conçues l’une sans l’autre ; comme, par exemple, dans une horloge qui est composée de beaucoup de rouages, cordages et autres pièces : là, dis-je, chaque rouage. cordage, etc., peut être saisi et conçu par lui-même, sans que le tout, tel qu’il est constitué par ces parties, soit pour cela nécessaire. De même encore dans l’eau, qui est formée de particules oblongues et droites, chaque partie peut être saisie et conçue, et subsister, sans le tout. Mais de l’étendue, qui est une substance, on ne peut dire qu’elle a des parties puisqu’elle ne peut devenir plus petite ni plus grande, et que nulles de ses parties ne peuvent être conçues séparément, attendu que par sa nature elle doit être infinie. Qu’elle doive être telle [********], cela découle encore de ce que, si elle n’était pas telle, mais formée de parties, elle ne serait pas infinie de sa nature comme il a été dit ; que d’ailleurs, dans une nature infinie des parties puissent être conçues, cela est impossible, puisque toutes les parties sont de leur nature finies [*********].
(20) Ajoutons que, si l’étendue se composait de parties distinctes, on pourrait concevoir, qu’alors que quelques-unes de ses parties seraient anéanties, elle subsistât et ne fût point anéantie par l’anéantissement de quelques parties, ce qui est une contradiction évidente dans une chose qui, par sa nature, est infinie et ne peut jamais être finie et limitée ni être conçue comme telle.
(21) De plus, pour ce qui touche encore les parties qui sont dans la Nature, nous dirons que la division (ainsi que je l’ai déjà indiqué) n’a pas lieu dans la substance mais toujours et seulement dans les modes de la substance. Ainsi, quand je veux diviser de l’eau, je ne divise jamais que le mode de la substance, non la substance elle-même ; cette substance, si diversement qu’elle soit modifiée [**********], étant toujours là même.
(22) La division donc ou le pâtir n’ont lieu que dans le mode ; ainsi, quand nous disons que l’homme périt ou est anéanti, cela s’entend seulement de l’homme en tant qu’il est telle combinaison déterminée et tel mode de la substance et non de la substance même dont il dépend.
(23) D’autre part, nous avons déjà affirmé, comme nous le dirons encore ci-après, que rien n’existe en dehors de Dieu et qu’il est une cause immanente. Le pâtir cependant, dans lequel l’agent et le patient sont distincts, est une imperfection palpable, car le patient doit nécessairement dépendre de ce qui, étant extérieur à lui, a causé en lui une passion, et cela ne peut arriver en Dieu qui est parfait.
(24) De plus, d’un agent de cette sorte qui agit en lui-même on ne peut jamais dire qu’il a l’imperfection d’un patient, parce qu’il n’a point à pâtir d’un autre ; ainsi l’entendement, par exemple, est, de l’avis des Philosophes, cause de ses concepts ; mais comme il est une cause immanente, qui oserait dire qu’il est imparfait toutes les fois qu’il pâtit de lui-même ?
(25) Enfin la substance, parce qu’elle est le principe de tous ses modes, peut à bien meilleur droit être appelée un agent qu’un patient. Et ainsi estimons-nous avoir répondu suffisamment à toutes les objections.
(26) On objecte cependant encore qu’il doit y avoir nécessairement une première cause qui meuve ce corps puisque, étant au repos, il lui est impossible de se mouvoir lui-même ; et, comme il est évident qu’il y a dans la nature du repos et du mouvement, ils doivent nécessairement, pense-t-on, provenir d’une cause extérieure.
(27) Mais il nous est ici facile de répondre ; car nous concédons que si un corps était une chose subsistant par elle-même et n’avait d’autre propriété que d’être long, large et profond, nous concédons, disons-nous, qu’alors, s’il était réellement au repos, il n’y aurait en lui aucune cause pour qu’il commençât à se mouvoir lui-même : mais nous avons déjà affirmé que la Nature est un être duquel tous les attributs sont affirmés et puisqu’il en est ainsi, il ne peut rien lui manquer pour produire tout ce qui est à produire.
(28) Après avoir parlé jusqu’ici de ce que Dieu est, nous dirons, d’un mot seulement, de ses attributs, que ceux qui nous sont connus consistent dans ces deux, la Pensée et l’Étendue ; car nous ne parlons ici que d’attributs que l’on puisse vraiment nommer des attributs de Dieu [***********], par lesquels nous le puissions connaître en lui-même et non comme agissant en dehors de lui-même.
(29) Tout ce que les hommes affirment de lui en dehors de ces deux attributs, et qui lui convient réellement, doit donc être ou bien une dénomination extrinsèque : ainsi quand on affirme qu’il subsiste par lui-même, qu’il est Unique, Éternel, Immuable, etc., ou bien se rapporter à ses actions ainsi quand on dit qu’il est : cause de toutes choses, prédétermine et dirige toutes choses. Ce sont là les propres de Dieu mais ils ne font pas connaître ce qu’il est.
(30) Cependant de quelle manière ces attributs peuvent avoir place en Dieu c’est ce que nous montrerons ci-après dans les chapitres qui suivront. Mais, pour faire mieux entendre et éclaircir davantage [B : ce que nous voulons dire], nous avons jugé bon de joindre ici les discours suivants consistant en un Dialogue.
[1] La raison en est que, le Néant ne pouvant avoir d’attributs, le Tout doit avoir tous les attributs ; et de même que le Néant n’a pas d’attributs parce qu’il n’est rien, le Quelque chose a des attributs, parce qu’il est quelque chose. Donc, plus il est quelque chose, plus il doit avoir d’attributs ; et conséquemment, Dieu étant ce quelque chose qui possède la plus haute perfection, l’infinité, la totalité, doit avoir aussi des attributs parfaits, infinis, et la totalité des attributs.
[2] Si nous pouvons démontrer qu’il ne peut y avoir aucune substance limitée, toute substance doit alors appartenir sans limitation à l’être divin. Or, nous la prouvons ainsi : 1° ou bien la substance doit s’être limitée elle-même, ou bien elle a été limitée par une autre. Elle ne peut s’être limitée elle-même car, étant illimitée, elle aurait dû changer toute sa nature. Elle n’est pas non plus limitée par une autre, car cette autre devrait être limitée ou illimitée ; le premier n’est pas, donc, c’est le second ; donc elle* est Dieu. Dieu donc devrait l’avoir limitée, parce qu’il y avait en lui ou bien défaut de puissance, ou bien défaut de volonté ; le premier répugne à la toute-puissance ; le second à la bonté ; qu’il ne peut exister de substance limitée, suit clairement de ce qu’une telle substance devrait tirer quelque chose du néant ce qui est impossible. D’où tiendrait-elle en effet ce en quoi elle diffère de Dieu ? Elle ne le tiendrait pas de Dieu, car il n’a rien d’imparfait ni de limité, etc., d’où donc, sinon du néant ? Donc, il n’existe de substance qu’illimitée. D’où suit qu’il ne peut exister deux substances illimitées égales ; car, sitôt qu’on les pose, il y a nécessairement limitation. Et de là suit à son tour que l’une ne peut produire l’autre ; comme ceci : la cause qui produirait cette substance devrait avoir le même attribut que la substance produite et devrait avoir aussi autant de perfection, ou plus ou moins ; le premier n’est pas, car il y aurait alors deux substances égales ; le second n’est pas, car l’une alors serait limitée ; le troisième n’est pas, car du néant ne sort aucun quelque chose.
Autre démonstration : si de l’illimité sort une chose limitée, alors l’illimité sera aussi limité. etc. Donc une substance ne peut produire l’autre. Et de là se conclut que toute substance doit exister formellement**, car si elle n’est pas il n’y a aucune possibilité qu’elle puisse commencer d’être.
* Cette autre substance limitant la première.
** Formelijk dans le texte hollandais ; il me paraît que le terme latin devait être actualiter ou in actu.
[3] Dire à ce sujet que la nature de la chose exigeait cela [la limitation] et par suite ne pouvait être autrement, c’est ne rien dire ; car la nature d’une chose ne peut rien exiger tant qu’elle n’est pas. Dites-vous que l’on peut voir cependant ce qui appartient à la nature d’une chose qui n’est pas ? Cela est vrai, quant à l’existence, mais non du tout quant à l’essence. Et en cela consiste la différence entre créer et engendrer ; créer, c’est poser une chose à la fois quant à l’essence et à l’existence, tandis que engendrer se dit quand une chose vient à être seulement quant à l’existence, et c’est pourquoi il n’y a maintenant pas création dans la Nature, mais seulement génération. Si donc Dieu crée, il crée la nature de la chose en même temps que la chose ; il serait ainsi malveillant si, le pouvant bien, mais ne voulant pas il avait créé la chose de telle sorte, qu’elle ne s’accordât pas avec sa cause en essence et en existence. Ce que nous appelons créer toutefois, on ne peut dire proprement que cela ait jamais du lieu, et nous avons voulu plutôt montrer ce qu’on peut en dire en établissant la différence entre créer et engendrer.
[***] Au mot substance le texte hollandais substitue attribut ; selon l’exemple de W. Meijer, je corrige en tenant compte de la note 3 où la même argumentation est reproduite.
[****] Cette substance unique à laquelle appartiennent tous les attributs.
[*****] Cette dernière phrase paraît interpolée à Freudenthal qui est d’avis de la supprimer purement et simplement. On ne voit pas, en effet, d’où se tire cette conclusion ; elle ne se trouve pas d’ailleurs dans le manuscrit B.
[******] Le paragraphe 17 fait suite au paragraphe 12 ; les paragraphes 13 à 16 où sont réfutées certaines objections peuvent avoir été introduits après coup.
[4] Nous voulons dire que, s’il existait des substances distinctes ne se rapportant pas à un même être, leur union serait impossible, parce que nous voyons clairement qu’elles n’ont rien de commun entre elles : ainsi, la pensée et l’étendue dont cependant nous sommes formés.
[5] C’est-à-dire : si aucune substance ne peut exister autrement qu’en acte, et que cependant, pour aucune, l’existence ne découle de l’essence, aussi longtemps qu’elle est conçue à part, il s’ensuit qu’elle ne peut être une chose qui existe à part, mais doit être une chose telle qu’un attribut d’une autre qui est l’être unique ou le tout. Ou encore : toute substance existe en acte et, de l’essence d’aucune conçue en elle-même, aucune existence ne découle : par suite, aucune substance existant en acte ne peut être conçue comme existant en elle-même, mais elle doit appartenir à quelque autre chose. Autrement dit, quand nous formons dans notre entendement l’idée de la pensée et de l’étendue substantielles, nous les concevons dans leur essence seulement, non dans leur existence ; nous ne les concevons pas de telle sorte que leur existence découle de leur essence. En démontrant toutefois, qu’elles sont des attributs de Dieu, nous démontrons a priori qu’elles existent et a posteriori (touchant l’étendue seule), cette existence se déduit des modes qui doivent nécessairement l’avoir pour sujet.
[6] Dans la nature, c’est-à-dire dans l’étendue substantielle, car, si celle-ci est divisée, son essence et sa nature sont du même coup anéanties, puisqu’elle consiste uniquement à être une étendue infinie ou un tout, ce qui est la même chose. Mais, direz-vous, n’y a-t-il pas des parties dans l’étendue, avant qu’il y ait des modes ? En aucune façon, dis-je. Mais, objectez-vous, s’il y a du mouvement dans la matière, ce mouvement doit être dans une partie de la matière, non dans le tout, puisque le tout est infini ; dans quelle direction en effet pourrait-il se mouvoir, puisque rien n’existe en dehors de lui ? C’est donc dans une partie. Réponse : Il n’y a pas de mouvement seul, mais à la fois du mouvement et du repos, et ce mouvement est dans le tout et doit y être, car il n’y a pas de partie dans l’étendue. Insistez-vous ? Oui, il y en a. - Dites-moi alors : quand vous divisez l’étendue totale, pouvez-vous détacher réellement de toutes ses parties celle que vous en détachez par la pensée******** ? Et, cela fait, je demande : qu’y a-t-il entre la partie détachée et le reste ? Il vous faut répondre : ou bien un vide, ou bien un autre corps ou bien quelque chose qui est de l’étendue elle-même ; il n’y a pas de quatrième parti. Le premier n’est pas, car il n’y a pas de vide qui soit positif sans être un corps. Le second n’est pas, car il y aurait là un mode, et cela ne peut pas être, puisque l’étendue en tant qu’étendue, sans les modes, est avant tous les modes. C’est donc le troisième qui est ; il n’existe donc pas de partie, mais seulement l’étendue totale [B : une et indivisible].
******* Verstand dans le texte.
[********] Sans parties.
[*********] B : Puisque toutes les parties devraient être de leur nature infinies (Voir note expl.).
[**********] Leçon de B, suivie par Sigwart, donnée en note dans l’édition van Vloten et Land ; la leçon du manuscrit A, donnée dans le texte, me parait incompréhensible.
[***********] Leçon de B. A donne : qu’on puisse appeler attributs propres de Dieu (eigene Eygenschappen Gods).