EIII - Proposition 44 - scolie


Bien qu’il en soit ainsi, personne cependant ne fera effort pour avoir quelqu’un en haine ou être affecté de Tristesse, afin de jouir de cette Joie plus grande ; c’est-à-dire personne, dans l’espoir d’un dédommagement, ne désirera se porter dommage à soi-même et ne souhaitera être malade dans l’espoir de guérir. Car chacun s’efforcera toujours de conserver son être et, autant qu’il peut, d’écarter la Tristesse. Que si, au contraire, on pouvait concevoir un homme désirant avoir quelqu’un en haine afin d’éprouver ensuite pour lui un plus grand amour, alors il souhaitera toujours l’avoir en haine. Car plus la Haine aura été grande, plus grand sera l’Amour, et, par suite, il souhaitera toujours que la Haine s’accroisse de plus en plus ; et pour la même cause, un homme s’efforcera de plus en plus d’être malade afin de jouir ensuite d’une plus grande Joie par le rétablissement de sa santé ; il s’efforcera donc d’être malade toujours, ce qui (Prop. 6) est absurde. [*]


Quamvis res ita se habeat, nemo tamen conabitur rem aliquam odio habere vel tristitia affici ut majore hac lætitia fruatur hoc est nemo spe damnum recuperandi damnum sibi inferri cupiet nec ægrotare desiderabit spe convalescendi. Nam unusquisque suum esse conservare et tristitiam quantum potest amovere semper conabitur. Quod si contra concipi posset hominem posse cupere aliquem odio habere ut eum postea majore amore prosequatur, tum eundem odio habere semper desiderabit. Nam quo odium majus fuerit, eo amor erit major atque adeo desiderabit semper ut odium magis magisque augeatur et eadem de causa homo magis ac magis ægrotare conabitur ut majore lætitia ex restauranda valetudine postea fruatur atque adeo semper ægrotare conabitur, quod (per propositionem 6 hujus) est absurdum.

[*(Saisset :) Quoique les choses se passent de cette façon, personne cependant ne s’efforcera de prendre un objet en haine, c’est-à-dire d’éprouver de la tristesse, pour jouir ensuite d’une joie plus grande ; personne, en d’autres termes, ne désirera qu’on lui cause un dommage, dans l’espoir d’en être dédommagé, ni d’être malade, dans l’espoir de la guérison. Car chacun s’efforce toujours, autant qu’il est en lui, de conserver son être et d’écarter de lui la tristesse. Que si l’on pouvait concevoir le contraire, je veux dire qu’un homme vînt à désirer de prendre un objet en haine, afin de l’aimer ensuite davantage, il s’ensuivrait qu’il désirerait donc toujours de le haïr ; car plus la haine serait grande, plus grand serait l’amour ; et par conséquent il désirerait toujours que la haine devînt de plus en plus grande : et, à ce compte, un homme s’efforcerait d’être de plus en plus malade, afin de jouir ensuite d’une joie plus grande à son rétablissement, et en conséquence, il s’efforcerait toujours d’être malade, ce qui est absurde (par la Propos. 6).