EIII - Proposition 47 - scolie
Cette proposition peut aussi se démontrer par le Corollaire de la Proposition 17, partie II. Chaque fois, en effet, qu’il nous souvient d’une chose, bien qu’elle n’existe pas en acte, nous la considérons cependant comme présente, et le Corps est affecté de la même manière ; en tant par suite que le souvenir de la chose est vivace, l’homme est déterminé à la considérer avec Tristesse, et cette détermination, aussi longtemps que demeure l’image de la chose, est réduite, à la vérité, mais non ôtée par le souvenir des choses qui excluent l’existence de la chose imaginée ; et, par suite, l’homme est joyeux seulement dans la mesure où cette détermination est réduite ; par où il arrive que cette Joie, qui naît du mal de la chose que nous haïssons, se renouvelle toutes les fois qu’il nous souvient de cette chose. Comme nous l’avons dit, en effet, quand l’image de cette chose est éveillée, comme elle enveloppe l’existence de la chose, elle détermine l’homme à la considérer avec la même Tristesse avec laquelle il avait accoutumé de la considérer quand elle existait. Mais, comme il a joint à l’image de cette chose d’autres images qui en excluent l’existence, cette détermination à la Tristesse est réduite aussitôt, et l’homme est joyeux de nouveau, et cela toutes les fois que l’occurrence se répète. C’est pour cette cause que les hommes sont joyeux toutes les fois qu’il leur souvient d’un mal déjà passé ; et c’est pourquoi ils s’épanouissent à narrer des périls dont ils ont été délivrés. Quand ils imaginent quelque péril en effet, ils le considèrent comme futur et sont déterminés à le craindra ; mais cette détermination est réduite de nouveau par l’idée de la liberté qu’ils ont jointe à celle de ce péril alors qu’ils en ont été délivrés, et cette idée leur rend de nouveau la sécurité ; et, par suite, ils sont de nouveau joyeux. [*]
Potest hæc propositio etiam demonstrari ex corollario propositionis 17 partis II. Quoties enim rei recordamur, quamvis ipsa actu non existat, eandem tamen ut præsentem contemplamur corpusque eodem modo afficitur ; quare quatenus rei memoria viget eatenus homo determinatur ad eandem cum tristitia contemplandum ; quæ determinatio manente adhuc rei imagine coercetur quidem memoria illarum rerum quæ hujus existentiam secludunt sed non tollitur atque adeo homo eatenus tantum lætatur quatenus hæc determinatio coercetur et hinc fit ut hæc lætitia quæ ex rei quam odimus malo oritur, toties repetatur quoties ejusdem rei recordamur. Nam uti diximus quando ejusdem rei imago excitatur, quia hæc ipsius rei existentiam involvit, hominem determinat ad rem cum eadem tristitia contemplandum qua eandem contemplari solebat cum ipsa existeret. Sed quia ejusdem rei imagini alias junxit quæ ejusdem existentiam secludunt, ideo hæc ad tristitiam determinatio statim coercetur et homo de novo lætatur et hoc toties quoties hæc repetitio fit. Atque hæc eadem est causa cur homines lætantur quoties alicujus jam præteriti mali recordantur et cur pericula a quibus liberati sunt, narrare gaudeant. Nam ubi aliquod periculum imaginantur, idem veluti adhuc futurum contemplantur et ad id metuendum determinantur, quæ determinatio de novo coercetur idea libertatis quam hujus periculi ideæ junxerunt cum ab eodem liberati sunt quæque eos de novo securos reddit atque adeo de novo lætantur.
[*] (Saisset :) Cette proposition se peut aussi démontrer par le Corollaire de la Propos. 17. Chaque fois, en effet, que nous nous souvenons d’une chose, quoiqu’elle n’existe pas actuellement, nous la considérons comme présente, et le corps est affecté de la même façon que si elle était présente en effet. C’est pourquoi, tant qu’il garde mémoire d’une chose qu’il hait, l’homme est déterminé à la considérer avec tristesse ; et l’image de la chose continuant de subsister, cette détermination est empêchée mais non détruite par le souvenir des autres choses qui excluent l’existence de celle-là ; or, en tant qu’elle est empêchée, l’homme se réjouit ; et de là vient que la joie qui nous est causée par le malheur d’un objet détesté se répète aussi souvent que nous nous souvenons de lui. Car, comme on l’a déjà dit, lorsque l’image de l’objet détesté vient à être excitée, comme elle en enveloppe l’existence, elle détermine l’homme à considérer cet objet avec la même tristesse qu’il avait coutume de ressentir quand elle existait réellement. Mais comme il arrive aussi que l’homme joint à l’image de l’objet détesté d’autres images qui excluent l’existence de celle-là, cette détermination à la tristesse est empêchée au même instant, et l’homme se réjouit ; et cela autant de fois que le phénomène reparaît. On peut expliquer de la même manière pourquoi les hommes se réjouissent chaque fois qu’ils se rappellent les maux passés, et pourquoi aussi ils aiment à raconter les périls dont ils sont délivrés. Car, dès qu’ils se représentent quelque péril, ils l’aperçoivent aussitôt comme un péril à venir, et sont ainsi déterminés à le redouter ; mais cette détermination venant à être empêchée par l’idée de la délivrance, qu’ils ont jointe à celle du péril quand ils en ont été délivrés, la sécurité arrive à sa suite, et ils sont de nouveau réjouis.