EIV - Proposition 60


Un Désir, tirant son origine d’une Joie ou d’une Tristesse qui se rapporte à une seule des parties du Corps, ou à quelques-unes, mais non à toutes, n’a point égard à l’utilité de l’homme entier.

DÉMONSTRATION

Supposons, par exemple, qu’une partie A du Corps soit, par la force d’une cause extérieure, rendue plus forte à ce point qu’elle l’emporte sur les autres (Prop. 6). Cette partie ne s’efforcera point pour cela de perdre ses forces pour que les autres parties du Corps s’acquittent de leur office ; elle devrait en effet avoir la force ou la puissance de perdre ses forces, ce qui est absurde (Prop. 6, p. III). Cette partie s’efforcera donc, et conséquemment l’Âme aussi (Prop. 7 et 12, p. III) s’efforcera, de conserver cet état ; et par suite le Désir qui naît d’une telle affection de Joie, n’a pas égard au tout. Que si, au contraire, on suppose une partie A réduite de façon que les autres l’emportent sur elle, on démontre de la même manière que le Désir né de la Tristesse n’a pas non plus égard au tout. C.Q.F.D. [*]


Cupiditas quæ oritur ex lætitia vel tristitia quæ ad unam vel ad aliquot, non autem ad omnes corporis partes refertur, rationem utilitatis totius hominis non habet.

DEMONSTRATIO :

Ponatur exempli gratia corporis pars A vi alicujus causæ externæ ita corroborari ut reliquis prævaleat (per propositionem 6 hujus) ; hæc pars vires suas amittere propterea non conabitur ut reliquæ corporis partes suo fungantur officio. Deberet enim vim seu potentiam habere vires suas amittendi, quod (per propositionem 6 partis III) est absurdum. Conabitur itaque illa pars et consequenter (per propositiones 7 et 12 partis III) mens etiam illum statum conservare adeoque cupiditas quæ ex tali affectu lætitiæ oritur, rationem totius non habet. Quod si contra supponatur pars A coerceri ut reliquæ prævaleant, eodem modo demonstratur quod nec cupiditas quæ ex tristitia oritur, rationem totius habeat. Q.E.D.

[*(Saisset :) Le désir qui naît d’une impression de joie ou de tristesse relative a une ou plusieurs parties du corps et non à toutes ses parties, ne se rapporte point à l’utilité de l’homme tout entier. Démonstration Supposez, par exemple, que la partie A du corps soit fortifiée par l’action d’une cause étrangère au point de prévaloir sur les autres parties (par la Propos. 6) ; cette partie ne fera pas effort pour perdre ses forces, afin que les autres parties du corps s’acquittent de leurs fonctions. Car il faudrait lui attribuer pour cela la force ou la puissance de perdre ses forces, ce qui est absurde (par la Propos. 6, part. 3). Par conséquent, cette partie, et partant l’âme elle-même (par les Propos. 7 et 12, part. 3), s’efforcera de conserver l’état où elle se trouve. D’où il suit que le désir qui naît d’un tel sentiment de joie ne se rapporte point à l’homme tout entier. Que si on suppose, au contraire, que la partie A soit affaiblie de façon que les autres parties l’emportent sur elle, la même démonstration sert à prouver que le désir, qui proviendrait en ce cas d’un sentiment de tristesse ne se rapporte pas à l’homme tout entier. C. Q. F. D.