Lettre 69 - Spinoza à Velthuysen (novembre 1675)
Au très savant Lambert de Velthuysen,
B. de Spinoza.
Monsieur,
Je suis surpris que notre ami Nieuwstad m’ait attribué l’intention de composer une réfutation des écrits publiés depuis quelque temps contre mon traité [1] et aussi de réfuter votre ouvrage encore manuscrit. Je sais en effet que l’idée de réfuter l’un quelconque de mes adversaires ne m’est jamais venue à l’esprit : aucun en effet ne m’a paru mériter une réponse et il ne me souvient pas d’avoir dit à M. Nieuwstad autre chose sinon que je me proposais d’éclaircir par des notes certains passages un peu obscurs de mon traité [2] et de joindre à ces notes votre travail [3] encore manuscrit avec ma réponse [4], si cela se pouvait faire avec votre agrément. Je l’ai prié de vous le demander, ajoutant que, si peut-être vous ne consentiez pas à le donner à cause de quelques duretés contenues dans ma réponse, vous aviez toute faculté de corriger ou de supprimer les passages jugés par vous désobligeants. Mais laissons là M. Nieuwstad contre qui je ne veux pas me fâcher. J’ai tenu à vous mettre au courant afin que, si je n’obtiens pas de vous la permission que je demande, vous sachiez du moins que je n’ai jamais voulu publier votre manuscrit contre votre gré. Et bien que cette publication ne fasse à mon avis courir aucun péril à votre bon renom, pourvu que votre nom n’y figure pas, je m’en abstiendrai à moins que vous ne m’accordiez licence de le faire. A dire vrai, cependant, vous m’obligeriez bien davantage si vous consentiez à mettre par écrit les arguments par lesquels vous croyez pouvoir combattre mon traité et si vous les adjoigniez à votre manuscrit. C’est là ce que je demande instamment. Il n’est personne en effet de qui j’examinerais plus volontiers les raisons car je sais que seul vous tient l’amour de la vérité et je connais votre exceptionnelle loyauté à laquelle je m’adresse pour vous prier encore une fois de vouloir bien entreprendre ce travail et de me croire votre très dévoué
B. DE SPINOZA.
[1] Le Traité théologico-politique. On voit que Spinoza envisage alors une réédition du TTP. La mort l’empêchera de mener ce projet à son terme. Il subsiste de ce travail les « Annotations » habituellement publiées après les chapitres du livre (note jld).