Lettre 68 - Spinoza à Oldenburg
Au très noble et très savant Henri Oldenburg,
B. de Spinoza.
Monsieur,
Au moment où j’ai reçu votre lettre du 22 juillet, je suis parti pour Amsterdam pour faire imprimer le livre [1] dont je vous avais parlé dans ma lettre antérieure. Tandis que je m’occupais de cette affaire, le bruit se répandit partout qu’un livre de moi était sous presse où je m’efforçais de montrer qu’il n’y avait pas de Dieu, et quantité de gens ajoutaient foi à ce bruit. Quelques théologiens (peut-être les premiers auteurs de ce bruit) en prirent occasion pour déposer ouvertement une plainte contre moi auprès du prince et des magistrats ; de sots cartésiens en outre, pour écarter le soupçon de m’être favorables, ne cessaient pas et continuent d’afficher l’horreur de mes opinions et de mes écrits. L’ayant appris de quelques personnes dignes de foi qui affirmaient en même temps que les théologiens me guettaient de toutes parts, j’ai résolu d’ajourner la publication jusqu’au moment où j’aurai vu comment tournaient les choses, et je me suis proposé de vous communiquer alors la décision à laquelle je m’arrêterais. Mais la situation paraît s’aggraver tous les jours et je ne sais trop que faire. Je n’ai cependant pas voulu différer plus longtemps de répondre à votre lettre et, en premier lieu, je vous remercie de votre avertissement amical. Je voudrais savoir quelles sont les opinions que vous croyez de nature à mettre en péril la pratique de la venu religieuse et vous demande à ce sujet un complément d’explication. Je crois en effet, quant à moi, que des opinions conformes à la raison sont aussi de la plus grande utilité pour la vertu. Je voudrais aussi que vous me fissiez connaître, si cela ne vous est pas désagréable, les passages du Traité théologico-politique pouvant arrêter les savants, car j’ai l’intention d’éclaircir ce traité au moyen de quelques notes [2] et de faire tomber s’il est possible les préventions qu’on peut avoir contre lui. Adieu.