TTP - chap.2 - §§19-20 : Conclusion.



[19] Il est donc plus que suffisamment établi par là que les révélations de Dieu, comme nous nous proposions de le montrer, ont été adaptées à la compréhension et aux opinions des Prophètes ; que les Prophètes ont pu ignorer et ont réellement ignoré les choses de pure spéculation qui ne se rapportent pas à la charité et à l’usage de la vie ; enfin qu’ils ont eu des opinions opposées. Il s’en faut donc de beaucoup qu’on doive tirer d’eux la connaissance des choses naturelles et spirituelles. Notre conclusion, par suite, est que nous ne sommes pas tenus d’avoir foi dans les Prophètes, sinon pour ce qui est la fin et la substance de la révélation. Pour le reste, chacun peut croire librement comme il lui plaît ; par exemple la révélation de Caïn nous enseigne seulement que Dieu a averti Caïn qu’il eût à mieux vivre ; cela seulement est l’objet et la substance de la révélation et non d’enseigner la liberté de la volonté ou une doctrine philosophique. Encore que, dans les paroles de cette admonition et dans la manière dont elle est donnée, la liberté de la volonté soit très clairement contenue, il nous est loisible cependant de porter un jugement contraire, puisque ces paroles et cette manière sont adaptées à la compréhension du seul Caïn. De même la révélation de Michée veut enseigner seulement que Dieu a révélé à Michée la véritable issue de la bataille d’Achab contre Aram, et par conséquent c’est cela seul que nous sommes tenus de croire ; tout ce qui s’y trouve contenu en sus au sujet du véritable esprit de Dieu et du faux, et de l’armée du ciel se tenant des deux côtés de Dieu, ainsi que les autres circonstances de la révélation, ne nous touchent pas le moins du monde ; que chacun en juge donc comme il lui paraîtra s’accorder le mieux avec sa raison. A l’égard des arguments par lesquels Dieu montre à Job que tout est en sa puissance - si tant est que cette révélation fut faite à Job et que l’auteur ait voulu raconter une histoire et non (comme quelques-uns le croient) revêtir ses idées d’une forme imagée - il faut en dire autant : ces arguments sont à la portée de Job et propres à le convaincre, lui ; ils n’ont rien d’universel et ne sont pas pour convaincre tout le monde. On ne doit pas juger autrement des raisons par lesquelles le Christ convainc les Pharisiens d’insoumission et d’ignorance et exhorte ses disciples à la vie vraie : il a adapté ses raisons aux opinions et aux principes de chacun. Quand par exemple il dit aux Pharisiens (voir Matth., chap. XII) : et si Satan rejette Satan dehors, il est divisé contre lui-même : comment son royaume subsisterait-il, il n’a voulu que convaincre les Pharisiens par leurs propres principes ; il n’a pas voulu enseigner qu’il y ait des Démons et un royaume des Démons. De même quand il dit à ses disciples (Matth., XVIII, v. 10) : prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits, car je vous dis que leurs anges sont dans les cieux, etc., il ne veut enseigner rien d’autre sinon qu’ils ne doivent pas être orgueilleux et ne doivent mépriser personne ; il ne veut pas enseigner ce qui est impliqué dans le tour dont il use pour mieux persuader ses disciples. Il faut dire exactement la même chose des procédés et des signes dont usent les Apôtres ; point n’est besoin d’en parler ici plus longuement ; car, si je devais- énumérer tous les passages de l’Écriture écrits seulement pour un homme, c’est-à-dire adaptés à la compréhension d’une certaine personne et qu’on ne peut, sans grand dommage pour la Philosophie, présenter comme enseignement divin, je m’écarterais beaucoup de la brièveté à laquelle je m’efforce ; qu’il suffise donc d’avoir touché quelques points peu nombreux et d’intérêt général ; le lecteur curieux examinera les autres par lui-même.

[20] Toutefois, bien que seules les observations qui précèdent sur les Prophètes et la Prophétie tendent directement au but que je me propose et qui est de séparer la Philosophie de la Théologie, puisque j’ai été amené à parler de cette question en général, il convient de rechercher encore si le don prophétique a appartenu en particulier aux seuls Hébreux, ou s’il est commun à toutes les nations ; puis ce qu’il faut penser de la vocation des Hébreux ; ce sera l’objet du chapitre suivant.